vivantgeste

Réinvestir les formes de l’action collective avec (LA)HORDE

En septembre dernier, alors qu’ils venaient d’être récemment nommés à la tête du Ballet National de Marseille, le collectif (LA)HORDE – qui présentait alors la pièce Marry Me in Bassiani – s’est prêté au jeu des questions-réponses pour nous exposer leur vision du plateau et tenter avec nous de définir ce que serait un lieu de culture idéal.

(LA)HORDE, Room With a View © Gaelle Astier Perret

Explorant les possibilités offertes par le spectacle vivant, la performance et la vidéo, les chorégraphes et danseurs de (LA)HORDE investissent les limites entre les genres. S’ils sont les dépositaires d’une culture techno et d’une expérience de la nuit, on les retrouve aussi bien dans les centres d’art que dans les clubs, sur la scène que dans des friches. Leur démarche éminemment politique réinvestit les formes de l’action collective en invitant différentes communautés, notamment rencontrées en ligne, à partager leurs mouvements et leurs indépendances. Parfois qualifié de “post-internet”, leur danse utilise l’écran comme prétexte à la rencontre et la viralité comme moyen d’affirmer un geste. Ils portent la conviction que la danse est un moyen d’affirmation de soi et d’attention aux autres.

(LA)HORDE, Marry Me in Bassiani © Gaelle Astier Perret et Aude Arago

Après avoir invité des jumpers à monter sur scène avec TO DA BONE, dont nous nous étions déjà fait l’écho, vous travaillez dans Marry Me in Bassiani (entretien réalisé en septembre 2019) avec des danseurs géorgiens. Comment faites-vous le lien entre ces différentes collaborations ?

(LA)HORDE – Il y a un lien en réalité entre ces deux pièces et c’est la sérendipité de nos recherches qui nous a amené en Georgie. Ce qui nous intéressait, c’était le lien entre les musiques traditionnelles et la techno qui ont là-bas des BPM assez semblables. Il n’est pas rare de voir dans les clubs, bars ou galeries – dans lesquels la techno circule à Tbilissi – certains danseurs esquisser des pas traditionnels. La jeune génération est très en lien avec ses sources générationnelles : ce qui est une véritable particularité locale. Avec l’attractivité de Paris, nous avions pu rencontrer des DJs, de quantité de pays, qui nous avait ouvert sur des perceptions de la techno très différentes mais ce que nous avons surtout retenu, c’est ce qu’il y a de communs aux pays qui développent ce genre de musique : des communautés prêtes à transgresser les règles, à porter des valeurs, à questionner les normes notamment de genres ou de sexualité et à défendre une véritable liberté. Nous avons eu une accroche particulière à Bassiani qui est un lieu underground au premier sens du terme, c’est à dire dans les sous-sols d’un stade de foot. C’est un lieu à la limite de l’anarchie tenu par des activistes ; la techno n’y est pas un élément de consommation mais un vecteur politique d’empowerment, d’affirmation et d’indépendance. Rappelons que dans un pays où l’oppression gouvernementale et religieuse (orthodoxe) est réelle envers les minorités. Un tel lieu relève d’un safe space géant. Ce que nous cherchons à montrer, c’est comment la culture peut circuler malgré tout, dans ce choc entre un ancien monde et un nouveau. Il y a une force pacifiste de la danse qui traduit les besoins de liberté du corps et de la parole. Il y a un an et demi – après des raids dans les clubs de Tbilissi -, des manifestations devant le Parlement avait ainsi pris la forme de raves.

(LA)HORDE, TO DA BONE © Tom de Peyret

Pourriez-vous nous parler davantage de votre travail avec les communautés ?

(LA)HORDE – C’est une histoire de passionnés ; nous avons envie de raconter une histoire avec eux. Nous faisons très attention aux communautés. Notre vision n’est pas plus juste que la leur et nous ne voulons pas nous l’approprier, la réduire ou entretenir une quelconque relation coloniale. La proximité de nos valeurs nous rassemble et nous voulons montrer un mouvement qui est le leur et est universel. Le contexte, à partir duquel on a créé la pièce, peut nourrir ta vision des choses mais tu n’aies pas obligé de le savoir pour te sentir impliqué. Avec les jumpers nous avions crée un spectacle qui de la même manière résonnait différemment selon l’endroit où on le jouait. Les situations créent de nouveaux discours et les interprètes vont beaucoup circuler en Europe, porter cette parole alors même qu’un DJ est encore en prison actuellement en Géorgie. Une telle démarche est bien évidemment politique mais elle s’inscrit dans l’histoire même des courants musicaux qui permettent de créer des liens et sont toujours eux-mêmes sociaux et politiques.

(LA)HORDE, Room With a View © Gaelle Astier Perret

La techno est donc politique au même titre qu’un spectacle : comment distinguez-vous l’espace du club de celui de la scène ?

(LA)HORDE – Nous n’avons pas voulu mettre en scène la techno ou mimer le club. Bassiani représente pour nous la destruction du patriarcat, et en même temps un écho à une tradition musicale et corporelle. Nous faisons entendre sur le plateau des musiques folkloriques pour évoquer des mémoires mais nous sommes dans le temps spécifique d’un spectacle. Il nous semblait vain de faire cohabiter le corps et la techno au plateau. Nous avons aussi créé des moments où la techno existe mais au travers de postures étranges, pour échapper à une esthétique, une spectacularisation. Il y a un mouvement de la danse traditionnelle vers la techno que nous avons demandé à Sentimental Rave de manifester au travers d’une composition spéciale. Le décor n’évoque pas un lieu précis mais des situations génériques, ce n’est pas le Parlement mais un lieu de pouvoir. Nous cherchons à garder l’ambivalence, à rester ouvert sur la question du sens. Il serait trop facile d’exploiter la binarité entre danseurs contemporains et folkloriques, nous ne voulons rien affirmer d’aussi frontal mais plutôt susciter des interrogations. Il est important pour nous de garder ce flottement propre à la traduction, de souligner le côté « lost in translation ».

(LA)HORDE, The Master’s Tools © Tom De Peyret, Olivier Moravik, Martin Argyroglo 

Comment appréhendez-vous l’espace du Ballet National de Marseille dont vous avez pris la tête ? Quelle articulation envisagez vous entre la création de vos spectacles et cette institution ?

(LA)HORDE – Nous venons d’arriver au Ballet National de Marseille et avant tout, il nous importe de rester pertinent dans le contexte. Nous devons sentir, comprendre les publics et rester dans une diversité de propositions. Lors du Festival Kampnagel de Hambourg ou à la Maison des Arts de Créteil, nous avons voulu donner la possibilité de ressentir le spectacle hors de la scène et nous avions cherché à recréer le contexte autour de TO DA BONE. Il était important pour nous d’apporter cette lecture supplémentaire du spectacle : nous ne voulons pas représenter le club au plateau parce qu’il s’agit de deux espaces hétérotopiques qui ne peuvent entrer l’un dans l’autre, au risque de s’annuler mais ils peuvent s’imbriquer. Les situations sont pourtant complémentaires et expriment différemment la liberté des corps. En prolongeant le spectacle par un moment de club, nous donnons la possibilité de vivre cette liberté : jamais nous n’envisageons le spectateur comme passif. Ce genre de moment ne doit pour autant pas être gratuit, ne pas devenir un produit. Si nous affirmons le caractère politique et culturel du club et de la nuit, nous devons veiller à établir ces liens dans des contextes pertinents. Il est sûr pour autant qu’à Marseille nous avons envie de faire ce genre de choses et aussi d’aller plus loin dans nos démarches, avec d’autres communautés plus locales ou méditerranéennes.

Entretien réalisé et paru en partenariat avec TRAX Magazine, octobre 2019.

(LA)HORDE, TO DA BONE © Tom de Peyret

Qui est (LA) HORDE ?

(LA)HORDE est un collectif de trois artistes : Marine Brutti / Jonathan Debrouwer / Arthur Harel, à la direction du Ballet National de Marseille. Ils travaillent sur la création chorégraphique. La danse est au-coeur de leur projet et autour d’elle, sont développées des pièces chorégraphiques, des films, des installations vidéo et des performances.