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Monter sur le ring avec Maya Bösch

Aujourd’hui, on explore la création à corps perdu avec Maya Bösch, artiste associée au Manège Maubeuge, scène nationale à travers un entretien réalisé avec Sylvia Dubost. Les théâtres restent fermés au public mais le travail ne s’arrête pas pour les artistes. « Campement d’artistes confinés » rend compte des résidences du Manège, de ce qui s’y crée, s’y produit, s’y pense et s’y essaye.

Beyond Maubeuge © Maya Bösch

Jeter son corps dans la bataille

Maya Bösch — Ce titre est emprunté à Pasolini : il m’a frappé parce qu’il est de manière concrète un programme civique. C’est la volonté de perturber, de provoquer une nouvelle conscience, voir jusqu’à quel point on peut tendre la construction sociale, l’irriter, la rêver autrement. C’est aussi une prise de risque. Jouer, c’est comme monter sur un ring, avant de se lancer dans la bataille : il faut une préparation, un entraînement, physique et mental, pour être prêt à ce qui se passera dans l’instant. Car on ne peut jamais contrôler ce qui va se produire. C’est une mise en danger, non seulement pour les artistes mais aussi pour le spectateur. […] Cela doit nous amener à une rencontre sensible, qui doit rester un moment exceptionnel. 

À propos du corps

Maya Bösch — Les quatre axes fondamentaux de mon travail sont l’espace, le corps, le texte (associé au son), le temps. Le corps est l’entité première, une machine ayant du souffle, précise, performante, où tout se concentre. C’est à travers le corps que je pense l’espace, que le texte résonne, frappe et se déploie, que je travaille le rythme et le mouvement. […] Le corps est politique : il est le lieu d’une multitude, de sensations, de tracés politiques et de contradictions, de désirs et de deuils aussi. Sa fragile perméabilité fait son exception et sa fulgurance : le corps encaisse la fatigue, il est plus lent que les idées, davantage marqué par le temps, dans sa peau le passé s’y respire, qui se dirige à son tour vers le futur. 

À propos de la radicalité

Maya Bösch — On est soi-même radical : les choses, elles, ne le sont pas forcément. La radicalité n’est pas la violence : ce sont des choix, des visions, des utopies et certainement aussi un brin de colère et de désaccord général. Tout le monde veut faire de l’expérimental, prendre des risques, mais au fond c’est compliqué de sortir de son cadre et de ses habitudes. La machine doit continuer à tourner… On a donc appris à s’aligner, à être « docile » ; on est devenus des joueurs / jouets d’un capitalisme féroce qui nous presse et nous pousse. Tout se joue dans cette question : comment être dans le système tout en étant en dehors, à l’écart, au bord d’un abysse vertigineux. Le théâtre est avant tout une passion : recharger ou reformuler sans cesse la question de la complexité de l’être humain. C’est ainsi que le désir du théâtre, dans son endurance et dans sa continuité, se transforme graduellement en un positionnement et un regard.

Beyond Maubeuge © Maya Bösch

À propos des textes

Maya Bösch — Le choix des textes est d’abord de l’ordre d’un choc et d’une nécessité, de l’instinct aussi. Je travaille beaucoup avec des auteurs qui m’ont désarmée, qui m’enlèvent les personnages, les lieux, tous les repères de théâtre. Qui m’emmènent vers un théâtre radical et politique, mais aussi dans un vide et dans une pauvreté d’où il faut ré-inventer. Avec eux, j’essaye d’aller vers des territoires inconnus, de découvrir, d’imaginer, de tenter. Ce n’est pas un projet personnel, c’est une intimité avec l’auteur, sa langue, son mouvement et son silence.

À propos de la représentation

Maya Bösch — Mon théâtre est une agora impromptue, sensible et politique entre acteur et spectateur. C’est une rencontre entre des mondes, des corps, des pensées, des générations, des cultures et des différences. La question est de savoir comment créer de l’expérience, de la fantaisie sociale. Comment se concentrer aujourd’hui, dans un monde de dispersion et de consommation absolue, comment entrer en mouvement / transe avec les mots et l’autre ? […] Comme j’ai aussi dirigé un théâtre, j’ai pu voir comment les gens ont appris à aimer le théâtre, même si ça ne leur plaisait pas au début. Ce qui veut dire que le théâtre – cette interstice magique qui peut créer ponctuellement une autre réalité – est une expérimentation entre acteurs et spectateurs où se produit de l’expérience, de l’échange et du débat. Très vite, un artiste peut transformer les préjugés envers les arts, mais pour cela il faut jeter son corps dans la bataille, oser aller vers l’autre. C’est une question de présence, d’agitation et d’endurance.

 © Isabelle Meister

Qui est Maya Bösch ?

Artiste, metteuse en scène, performeuse et curatrice de festivals, Maya Bösch est la première artiste associée du Manège. Sa voie est celle d’un engagement viscéral pour un théâtre sensuel, poétique et politique.
Née à Zurich, formée aux États-Unis, Maya Bösch construit sa démarche sur une recherche perpétuelle de nouvelles formes. Parce que « toute la vie est une question d’agence­ment des rapports de distance/proximité entre soi et l’autre ». Avec sa compagnie sturmfrei, fondée en 2000, elle puise dans la sociologie, la philosophie, la littérature, les arts plastiques, l’architecture, pour développer un théâtre performatif, politique, où le corps est toujours au centre. Peter Handke, Allen Ginsberg, Elfriede Jelinek, Heiner Müller, Mathieu Bertholet, Antoinette Rychner… les auteurs qu’elle fréquente témoignent de la nature de son engagement social et esthétique pour un théâtre indiscipliné, expérimental, nécessaire.
Co-directrice du GRÜ/Transthéâtre de Genève de 2006 à 2012, curatrice du festival de performances « Jeter son corps dans la bataille » en 2011 et 2014, co-curatrice du BONE Performance art festival de Bern en 2014, elle obtient en 2015 le Prix suisse de théâtre, qui la décrit comme « une ar­tiste perpétuellement sur le qui-­vive ».