Un espace peut en cacher un autre. Une fenêtre, nous ouvrir sur une fiction et un écran, nous ramener vers un souvenir. Juliette Terreaux travaille l’espace de bien des manières, par la miniature comme par la scénographie, par la photographie mais aussi la vidéo. Plus que la reproduction d’un volume ou la création d’une image, elle cherche à agir sur le regard, la perception des lieux. Sur les plateaux de théâtre comme en vitrine, elle exploite d’inaccessibles profondeurs pour faire se croiser symboles et détails. Croisant les histoires d’anonymes et de célébrités, projetant des récits sur des murs, elle brouille les frontières entre espace privés et publics et joue de nos pulsions scopiques.
Miniatures et récits
« La miniature a quelque chose d’ambigüe » assume tout de suite Juliette Terreaux, remettant en perspective l’imaginaire de la maison de poupée. Utilisée aussi bien à des fins militaires, dans des plans reliefs, que pour des jeux-vidéos de gestion, la réduction conforte notre œil dans une impression de puissance et de contrôle. Elle place le regardeur dans une position stratégique et omnisciente qui peut satisfaire également un certain voyeurisme. En reconstituant avec 5 BIS bis – l’adresse de Serge Gainsbourg, rue de Verneuil à Paris -, l’artiste montre avec minutie qu’il est possible de se représenter un espace intime, à partir de photos rendues publiques dans la presse. Depuis bien longtemps, les célébrités jouent de leur vie privée pour construire un personnage, comme nous l’apprend Serge Tisseron avec son concept d’extimité qu’il développe dans L’intimité surexposée, en 2001. Avec l’apparition de la télé-réalité puis l’essor des médias sociaux, l’intérieur des appartements et des maisons sont devenus, pour certains, de nouvelles aires d’influences et, pour d’autres, le lieu d’une construction de soi par écrans interposés.
Projections et exposition
Si Juliette Terreaux a pu reconstituer des lieux d’une histoire officielle comme le parvis de la basilique Saint-Denis, lors du cortège funèbre de Louis XVI et Marie-Antoinette (pour une commande du Centre des Monuments Nationaux), elle s’intéresse avant tout à la dimension secrète des lieux, à leur dédoublement d’une certaine manière. Qui n’a jamais rêvé de voir au-delà d’une façade, de partager avec les murs, le témoignage de vies oubliées ? Si l’artiste ne conçoit pas de personnages miniatures, tout parle dans son œuvre de présence. Les objets qu’elle reproduit sont des traces, les impressions olfactives qu’elle travaille notamment pour Paulette, 2 rue Moppert évoque un environnement de façon pleinement sensorielle. La vidéo, les photos tissent un récit qui aide à rendre compréhensible, qui donnent des clés de mémoire notamment pour faire ressurgir des personnages de femmes, rendues invisibles par leur présence au foyer.
Vers de nouveaux espaces
Usant de la projection depuis longtemps, l’artiste a durant le confinement changé d’optique. De la représentation d’intérieur et de leur théâtralisation, elle a eu recours au dispositif du drive-in pour développer en appartement, des vues de l’extérieur. En reprenant les formes architecturales qu’a inspirées le cinéma de plein air dans les années 30, elle propose des miniatures où peuvent se rejouer des scènes de la série La Quatrième Dimension. Usant une fois de plus des effets d’échelle, Juliette Terreaux nous interpelle sur nos filtres et visières et fait du mur : un écran. Elle rend possible l’imaginaire dans un appartement qu’elle trouve, au fur et à mesure qu’elle l’habite, de plus en plus grand et nous invite comme dans une vidéo – bientôt diffusée sur le site de la Fondation d’entreprise Ricard – à retrouver une place dans le monde extérieur.
Qui est Juliette Terreaux ?
Née en 1991, Juliette Terreaux est scénographe et plasticienne diplômée de l’École Supérieure des Arts Appliqués Duperré et de l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs. Elle travaille sur la doublure des espaces fantômes ou cachés : à partir d’un travail d’enquête sur le bâti, elle construit des espaces narratifs où se mêlent fantasme et réalité.
En 2019, elle fonde cinq.bis, un studio réunissant pour la première fois la création d’espaces miniatures et de parfums sur mesure.
En 2020, elle présente – entre le 15 et le 30 juin – une exposition virtuelle sur le Viméo et les réseaux de la Fondation d’entreprise Ricard, dans le cadre de la dernière soirée-exposition DECOR de la revue DECOR, le média de l’EnsAD Paris.