Du 03 février au 24 septembre 2023, le collectif d’artistes Visual System est invité par l’Atomium à investir ses espaces d’exposition dédiés à la création numérique avec Restart — exposition temporaire, et Centrale — oeuvre pérenne qui sculpteront l’Atomium de lumière et de son.
Depuis 2013, l’Atomium — site touristique, patrimonial et culturel à Bruxelles, emblématique dans le monde — propose un regard sur la création numérique. Il offre régulièrement des cartes blanches à des artistes – dont Visual System – qui ont réalisé des expositions aux univers immersifs originaux et in situ en allant à la rencontre des différents publics de l’Atomium, en exploitant la magie des lieux et en valorisant la richesse patrimoniale de ce site unique.
Cette année, l’Atomium investit pleinement l’art sous toutes ces facettes numériques en y consacrant sa programmation d’expositions et d’installations pérennes ou temporaires. Visual System est au rendez-vous d’une invitation où l’art et les technologies s’imbriquent, l’audace et le sensible se conjuguent au cœur de l’Atomium.
Restart + Centrale : un parcours synesthésique et hypnotique pour une œuvre totale
Dans le cadre de cette nouvelle invitation, Visual System conçoit Restart, une exposition temporaire, et Centrale, une installation pérenne. Dépassant les frontières physiques de l’exposition, Visual System donne ainsi vie à une œuvre totale qui plonge le visiteur au cœur d’un parcours synesthésique et hypnotique. Une invitation à explorer, s’abandonner et vivre une expérience contemplative et une interaction intense. En créant ce moment intime, Visual System poétise la lumière à partir d’une narration abstraite, d’une émotion pure et d’une distorsion temporelle collective.
Pour explorer les fondamentaux de cette invitation et les composantes de cette commande artistique exceptionnelle : Horya Makhlouf pour jigsaw est allée à la rencontre d’Arnaud Bozzini – directeur des expositions à l’Atomium (ainsi que du Design Museum Brussels situé à quelques mètres) et Ambroise Mouline – l’un des 4 fondateurs de Visual System. Plongée dans les entrailles de ce projet artistique hors norme, haut en couleurs, en musiques et en écho avec l’histoire résolument contemporaine de l’Atomium ancrée dans la modernité.
« Poétiser la lumière. » Ambroise Mouline, Visual System
Avec Pierre Gufflet, Julien Guinard et Valère Terrier au-sein de Visual System que vous avez fondé collectivement, vous donnez vie à des installations et des expositions immersives à cheval entre le spectacle vivant et les arts plastiques, la réalité et le rêve, la nature et la technologie. Que cherchez-vous à dire du monde à travers elles, entre tous ces extrêmes entre lesquels vous vous situez et avec lesquels vous composez ? Et si vous essayez de construire un ailleurs, quel est-il ? Vers quel ailleurs essayez-vous d’emmener vos publics ?
Ambroise Mouline – Notre propos, c’est de poétiser la lumière. On la travaille sous toutes ses formes, sous toutes ses échelles, et notamment avec les environnements immersifs monumentaux. C’est le cas à l’Atomium, où l’on mène une expérimentation sur la mise en contemplation par le biais de la lumière. Et cela se traduit souvent par la synchronicité entre la lumière et des musiques originales que l’on compose pour chacune de nos pièces. On crée ainsi une narration abstraite, toujours. On déroule un fil qui touche à l’émotion pure générée par la couleur et qui se construit également autour des formes et des mouvements. Notre travail de création est intrinsèquement organique. On nous a souvent associés, à juste titre, à l’art numérique, parce que nos pinceaux sont les nouvelles technologies, mais la technologie n’est pas une fin en soi. Dans notre travail, la technologie est un outil, et jamais l’aboutissement. La vision que l’on prône du futur, n’est en aucun cas une vision dystopique de la technologie ou une vision aseptisée comme pourraient prôner les GAFAM par exemple. L’envie permanente et qui nous nourrit chaque jour est de créer des environnements qui soient à la fois vivants et hospitaliers, où l’on se sente bouleversés. Une véritable distorsion temporelle : quand on entre dans notre univers, on oublie la logique du temps.
« Atomium x Visual System : une célébration de dix ans d’expérimentation artistique. » Arnaud Bozzini, Atomium
Arnaud Bozzini – À l’Atomium, on a initié des collaborations autour du numérique en 2013-2014 et particulièrement avec Visual System, avec qui on a saisi l’opportunité de répondre à notre mission de combler le grand écart entre les publics qui nous fréquentent. Ce que crée, produit et présente Visual System aux quatre coins du monde peut avoir une multitude de définitions : « un son et lumière » pour les uns, une « expérience », une « installation numérique » ou un « spectacle ». C’est avant tout, une expérience immersive unique et une manière inédite de re-découvrir patrimonialement notre bâtiment iconique. Je mets une série de guillemets à ce que je dis mais tout le monde ou presque connaît l’Atomium, au minimum de l’extérieur – au moins, toute personne qui visite Bruxelles plus de vingt-quatre heures ! La visite de l’intérieur, des différentes ressources présentées est moins partagée par tou·te·s. Une fois que l’on a visité, on peut avoir été séduit ou pas, la question est pourquoi y revenir ? Un univers créé sur-mesure pour l’Atomium comme celui produit par Visual System est essentiel : ils offrent un autre regard sur notre patrimoine, ils le réinterprètent pour l’appréhender à chaque fois sous un nouvel œil…
C’est ce sentiment de re-découverte que l’on a souhaité pérenniser. L’aventure Atomium x Visual System a commencé dans le cadre d’une exposition précédente dans laquelle nous avions invité Visual System à penser une œuvre qui nous a tellement plu que l’on a décidé de l’installer définitivement. Ailleurs, sans un autre espace ailleurs — toujours dans le bâtiment. Depuis on a voulu approfondir de plus en plus la collaboration. Au départ, bien sûr, on allait un peu à tâtons, notamment parce que le bâtiment est complexe, de par sa structure même – non conçu pour ce type de monstrations. et pionnier des arts numériques.
« C’est quoi la modernité, aujourd’hui, par rapport à ce qu’elle était à l’exposition universelle de 1958, à la création de l’Atomium ? » Arnaud Bozzini, Atomium
Justement, Arnaud, pouvez-nous dire quelques mots sur cette invitation faite à Visual System, en fil rouge ?
AB – L’histoire Atomium x Visual System, c’est dix ans d’expérimentation artistique, que l’on célèbre, cette année, avec une magie toute particulière. Il ne s’agit pas seulement d’ouvrir les portes de l’Atomium à des artistes qui travaillent le son, la lumière et les technologies – et qui font ça extrêmement bien, ici et ailleurs. Notre relation s’est vraiment nourrie progressivement. D’œuvre en œuvre, elle est de plus en plus enrichie et optimale à de nombreux points de vue. Au début, on expérimentait ce « quelque chose » qui était totalement nouveau pour l’Atomium, les équipes et les publics. Au fil des années et des créations, Visual System a su faire corps avec l’ADN de l’Atomium, qui a toujours réinterprété et re-questionné la notion de modernité. C’est quoi la modernité, aujourd’hui, par rapport à ce qu’elle était à l’exposition universelle de 1958, à la création de l’Atomium ?
« Donner vie à des œuvres qui permettent de voir et surtout de vivre le bâtiment autrement, de l’intérieur. » Arnaud Bozzini, Atomium
AB – En parallèle, avec Julie Almau-Gonzalez, directrice générale de l’Atomium, notre réflexion sur l’ouverture la plus large aux publics internationaux et belges renforce l’envie de cette invitation. Et la pandémie a changé fortement le public de l’Atomium. Pendant près de six ou huit mois, un public essentiellement belge était au rendez-vous quand les frontières n’étaient pas tout à fait ouvertes ou que les gens n’osaient pas voyager. Maintenant, ce public qui a (re)découvert l’Atomium, notre souhait est de le conserver. Il faut qu’il puisse y revenir avec la promesse de nouveautés. Il est donc pour nous très important de donner vie à des œuvres qui permettent de voir et surtout de vivre le bâtiment autrement, de l’intérieur. L’Atomium a une valeur patrimoniale forte et il est incontournable de penser à une mise en lumière renouvelée avec un goût d’aujourd’hui. On nourrit bien sûr la mémoire de l’esprit de 1958 – mais à un moment donné, il n’y aura plus de témoins de cette époque et il faudra aussi composer une autre histoire, que l’on amorce dès aujourd’hui. 10 ans après notre première conversation, avec l’équipe de l’Atomium, je suis très heureux de présenter RESTART et CENTRALE : l’univers proposé par Visual System n’a jamais été aussi prégnant dans l’Atomium. Une première en termes d’occupation de l’espace. C’est énorme !
« L’Atomium nous projette des imaginaires puissants qui font référence à la science-fiction, au futur, ou à une certaine manière de le représenter. » Ambroise Mouline, Visual System
Ambroise avec Visual System et Arnaud, avec l’équipe de l’Atomium, comment opérez-vous à l’Atomium pour, à la fois créer un espace complètement autre et mettre en valeur le patrimoine et le bâtiment ?
AM – Nous travaillons uniquement nos créations en conversation directe avec le in situ. Nous nous appuyons sur le bâtiment pour les façonner à l’échelle de l’architecture, pour les faire chanter, pour – à travers les couleurs, les mouvements, la lumière – créer des points chauds, des obscurités, etc. Le bâtiment devient un élément narratif à part entière. On se base sur ce qu’il représente et sur ce que l’on veut lui faire raconter. Il nous permet de créer notre « magie », même si le mot n’est pas tout à fait juste. À l’Atomium, on va intégrer de la lumière dans le lieu et y créer, sur place, des ombres superbes qui vont virevolter autour des charpentes métalliques. Lors de la production de l’œuvre : nous laissons une porte grande ouverte à l’improvisation. Bien sûr, nous réalisons, en amont, des modélisations 3D et pré-écritures précises mais les certitudes dont on s’arme sont souvent remises en question à notre arrivée dans l’espace d’exposition. Et après 10 années de productions dans et pour l’Atomium — même si on commence à bien connaître le lieu, sa force est de toujours nous surprendre. L’Atomium constitue un terrain des possibles exceptionnel. Il nous projette des imaginaires puissants, très rapidement qui font référence à la science-fiction, au futur, ou à une certaine manière de le représenter. Une richesse inouïe qui nous nourrit à l’infini. On a toujours l’envie de raconter de nouvelles histoires qui ont pour personnage principal : l’Atomium.
« À chaque nouvelle œuvre de Visual System : une nouvelle expérience à vivre, ce “quelque chose en plus” de l’Atomium insoupçonné, à explorer. » Arnaud Bozzini, Atomium
Ambroise avec Visual System et Arnaud, avec l’équipe de l’Atomium, comment opérez-vous à l’Atomium pour, à la fois créer un espace complètement autre et mettre en valeur le patrimoine et le bâtiment ?
AB – Dans la dernière décennie, nous avons collaboré avec d’autres artistes que Visual System avec qui nous approfondissons sur la durée. Ils intègrent l’Atomium – des murs aux publics – dans leurs partitions et non comme un simple écrin. Un dialogue hors du commun avec le bâtiment s’initie et se développer à chaque œuvre. Ce qui le valorise d’autant plus. À chaque nouvelle œuvre, une nouvelle expérience à vivre, ce « quelque chose en plus » de l’Atomium insoupçonné, à explorer. Sur le long terme, un jour, nous regarderons vers le passé et on pourra collectivement saisir ce qu’il s’est joué pendant ces dix années : une œuvre totale en composition progressive pour un bâtiment qui n’a pas été créé, à son origine pour être pérenniser et qui n’a clairement pas été pensé pour accueillir des créations artistiques numériques aussi abouties. Il est tout même à noter, qu’au pied de l’Atomium, en 1958, il y avait un pavillon Philips, réalisation du Corbusier et Xenakis qui proposait les prémisses des arts numériques.
Dans quelques jours, les publics pourront découvrir un cube de verre qui n’avait jamais encore été investi par Visual System dans le cadre de notre collaboration. On ne se l’était jamais permis auparavant. La création artistique de Visual System est comme une seconde membrane corporelle, intérieure de l’Atomium. Conçue in situ, comme le dit Ambroise : c’est une création originelle non transposable, pensée exclusivement pour l’Atomium. Un bâtiment particulièrement difficile à habiter : il est tellement présent, il est vorace, il mange tout et Visual System parvient à le transformer, une prouesse !
« L’envie de raconter de nouvelles histoires qui ont pour personnage principal : l’Atomium. » Ambroise Mouline, Visual System
AM – C’est vrai. Effectivement, c’est ce que l’on adore dans ce bâtiment si atypique. C’est aussi l’occasion d’expérimenter, à grande échelle, de pousser les limites en explorant toutes les parties qui nous sont offertes, en investissant des « tubes » qui étaient vides – comme on l’avait fait une année -, en suspendant des lustres monumentaux, en s’appuyant sur des arches… On essaie toujours de trouver un autre moyen d’habiter l’Atomium, qui soit en résonance avec ses particularités, d’inventer pour en tirer de nouvelles conclusions et continuer de faire avancer notre propos, au fil du temps. Un processus qui nous est propre chez Visual System. En Thaïlande, avec le Wonderfruit festival (qui a eu lieu du 15 au 18 décembre 2022) : on procède sur un schéma similaire, autour de plusieurs axes et d’autres projets réguliers nous le permettent. Mais ce que nous propose l’Atomium, depuis 10 ans, est exceptionnel.
Certaines de vos compositions reposent sur des algorithmes qui laissent une grande part à l’aléatoire. Comment jouez-vous, ensemble, avec ces différentes configurations : entre hasard, contrôle et exploration ?
AM – Il y a une grande part d’humilité qui nous guide. Quand on arrive dans l’espace, il faut savoir l’observer. Réussir à se dire ensemble que ce que l’on avait prévu n’a pas la conjugaison souhaitée.
Pour ce qui est des algorithmes, dans nos créations à l’Atomium : il n’y a pas d’algorithme. On écrit vraiment une partition que l’on joue, millimétrée. Une narration unique que l’on construit, abstraite mais qui a un début et une fin. Nous intégrons des algorithmes pour les plus petites pièces que l’on crée, qui sont comme un condensé de tout ce que l’on a appris sur de plus grandes échelles. Souvent, quand on réfléchit à des petits formats, ils sont dans notre atelier et on les crée et recrée, encore et encore, sans forcément arriver à prendre une décision. Nous sommes un collectif, donc chacun a son avis dans les discussions et le choix final peut être complexe à définir. Alors, nous nous sommes associés à un algorithme qui prendrait en quelques sorte certaines décisions pour nous, pour trancher à notre place. Ces algorithmes que nous avons développés sont très intéressants parce qu’ils nous échappent. C’est pareil avec l’installation in situ : quand on est sur place, et que l’on sort de la 3D et de nos outils de prévisualisation, notre création nous échappe. Elle entre en contact direct avec le lieu. Une nouvelle interprétation se met en action. C’est identique avec les algorithmes : ils se dérobent et ils proposent une nouvelle interprétation de nos œuvres.
« Une interactivité entre l’Atomium, les œuvres et les artistes qui se crée avant même le début de l’exposition. » Arnaud Bozzini
AB – D’année en année, on a donné de plus en plus de temps de montage à Visual System. C’est compliqué, parce qu’en termes logistiques, c’est un temps de fermeture de plusieurs espaces ciblés du bâtiment qui peut mécontenter nos visiteurs. Cette année, l’expérience de production des œuvres est également à vivre puisque les visiteurs pourront passer à travers le montage. Une interactivité entre le bâtiment, les œuvres et les artistes qui se crée avant même le début de l’exposition. Une nouveauté, l’Atomium devient en quelque sorte …
AM – … une espèce de zoo artistique numérique ! Hahaha
AB – Voilà !
« L’Atomium est aussi un symbole patrimonial : l’un des rares témoins de l’Exposition universelle et internationale de 1958 qui marque fondamentalement la mémoire collective belge jusqu’à aujourd’hui » Arnaud Bozzini, Atomium
Peux-tu justement nous en dire plus sur l’histoire et le statut de l’Atomium en tant que monument et lieu … vivant ! ?
AB – L’Atomium est un bâtiment public avec un statut associatif (ASBL). Il s’auto-finance quasiment entièrement, sauf pendant une crise comme la pandémie où il a pu compter avec les aides publiques. Pour faire simple, l’Atomium est un bâtiment qui a trois axes : c’est un bâtiment touristique, le plus visité de Bruxelles — avec son panorama à plus de 100 mètres qui permet une vue sur l’ensemble de la ville. L’Atomium est aussi un symbole patrimonial : l’un des rares témoins de l’Expo 58, qui occupe une place particulière dans l’histoire des Expositions universelles. La première après la Seconde Guerre mondiale qui a mis en scène dans une ambiance optimiste à l’aube des Trente glorieuses une série de bouleversements de l’époque, notamment la Guerre froide et la décolonisation. C’est pourquoi l’Atomium marque fondamentalement la mémoire collective belge jusqu’à aujourd’hui – en tout cas pour les gens qui avaient de la famille en Belgique à l’époque. Tout le monde a, dans un grenier, une boîte avec des souvenirs de l’Exposition de 1958, et si vous allez chiner en brocante, par exemple : on y trouve souvent, encore, des prospectus et des objets de merchandising de 1958. En 2000, le bâtiment est en très mauvais état, il n’est pas entretenu. Au tournant du XXIe siècle, on trouve enfin le financement pour le rénover. Il est fermé pendant deux ans et rouvre en février 2006. Dans les sphères accessibles au public et rénovées, des espaces d’exposition sont créés. C’est depuis lors que l’Atomium a, progressivement, défini une programmation. Elle est assez plurielle dans un premier temps, et axait sur l’architecture et la valorisation du patrimoine moderniste et le design. S’est ensuite créé un musée dédié avec le Design Muséum Brussels. Et puis on a un peu joué avec la belgitude, avec régulièrement des expositions comme la Sabena ou Magritte. La Sabena, c’était un peu notre « Air France », qui a disparu depuis. Avec le côté glamour autour de l’idée de voyager dans les années soixante… Et, s’est initié en parallèle, depuis 2013-2014, le travail avec Visual System. Il y a donc trois axes : un axe touristique, un axe patrimonial et un axe culturel.
« La fascination autour de l’univers et de ses imaginaires nous passionne. » Ambroise Mouline, Visual System
AM – Pour nous, chez Visual System, l’aspect patrimonial est essentiel. Le bâtiment est un élément narratif en soi. Et le fait qu’il constitue un symbole aussi imposant le rend nous donne envie de le transcender, de le raconter, etc. Ce que représente et raconte ce patrimoine est vraiment un énorme pilier de la réflexion que l’on mène autour de l’œuvre qu’on va proposer.
Avec la LED que nous travaillons, il y a un côté surnaturel, littéralement, parce que ce n’est pas un matériau qui vient de la nature et qui, de plus, s’active uniquement dans le noir – où on ne trouve normalement pas de lumière, par définition. On va contre cette obscurité que l’on crée en y projetant de la lumière. Cette dernière a toujours été associée au sacré. Chez Visual System, on aime emprunter ces références et travailler autour de cette notion et vibration, sans forcément que qu’elles soient liées à une quelconque religion en particulier. La fascination autour de l’univers et de ses imaginaires nous passionne.
Dans ce que l’on crée pour et à l’Atomium, avec l’ampleur de l’univers déployé, la taille des espaces qui se sont agrandis : on se plaît à imaginer que l’on essaie de transformer l’Atomium en un temple de la science et du numérique. Au fur et à mesure de son parcours, le visiteur se trouve alors plongé dans un maillage d’émotions, d’hypnotisme et de contemplation. Une immersion unique permise par l’Atomium, si particulier.
« Un maillage d’émotions, d’hypnotisme et de contemplation. Une immersion unique permise par l’Atomium, si particulier. » Ambroise Mouline, Visual System
AB – Quand on parle de patrimoine, on évoque bien sûr le bâtiment physique – son architecture, mais également le patrimoine mémoriel à prendre en compte, qui passe par les symboles et les images. D’expérience en expérience, on a accumulé des réflexions et des savoirs autour des manières de révéler au mieux l’ensemble de ces caractéristiques. Une exposition, un escalator, deux niveaux, un escalier, et puis une œuvre pérenne au cœur de l’ensemble créé. On a ajouté aussi un banc-sculpture qui permettra d’apprécier l’une et l’autre d’une tout autre manière…
AM – Mais oui, Arnaud, je n’avais pas pensé à parler des assises jusqu’à présent : elles sont très importantes, parce qu’elles participent à l’expérience que l’on propose aux visiteurs. On souhaite donner la possibilité d’un un regard global sur l’ensemble, et non pas que sur la lumière. Cette sculpture-banc, en invitant le public à s’assoir, alors qu’il est dans un parcours debout, propose un nouvel espace-temps. Il permet d’ajouter une dimension à l’expérience pour la rendre totale.
Tout est dans tout. C’est ma casquette d’historienne de l’art qui me fait faire ce lien entre votre manière de bousculer les codes et les frontières entre toutes les disciplines – artistiques ou scientifiques – pour proposer d’autres choses et une notion qui a été déployée dans l’histoire de l’art au XIXe siècle avec les artistes romantiques, celle d’art total. Elle passe par le mélange, dans une seule et même œuvre, de peinture, sculpture, musique, architecture, pour recréer un monde tout entier. L’œuvre totale ultime, c’est Wagner qui la crée à Bayreuth – un festival dont il pense l’architecture, la mise en scène, le décor et les pièces d’opéra qui y seront jouées. Il y convoque toutes les disciplines pour proposer exactement ce que tu viens de citer Ambroise : une expérience totale au spectateur qui pourrait s’immerger tout entier à l’intérieur de cet autre monde. L’œuvre d’art totale est un concept esthétique théorisé dans l’histoire de l’art, mais qui aujourd’hui est, il me semble, réinvestie via du spectacle-événement proposé par Disney ou L’Atelier des Lumières à Paris. Comment vous situez-vous vis-à-vis de ces différentes strates et déclinaisons au cours de l’histoire ?
AM – Bien sûr, tu as raison. Mais il est clair que nous ne produisons pas du tout les mêmes formats que L’Atelier des Lumières : eux produisent à partir de l’existant, pour l’intégrer dans un environnement immersif. Donc on retrouve des composantes de cette esthétique immersive, visuelle et sonore, mais le propos n’est pas du tout le même. Ils racontent l’histoire de quelqu’un d’autre quand nous créons de A à Z et écrivons de nouvelles histoires à chaque œuvre. Wagner, je ne sais pas comment il a pu mettre en œuvre pour réussir à toucher à tout cela, à son époque. C’est vertigineux ! Nous chez Visual System, c’est par le biais du collectif que l’on touche plusieurs disciplines. Nous sommes plusieurs à nous compléter. Cela nous donne un regard transversal que l’on peut ressentir dans nos créations puisqu’il y a de l’architecture, du numérique, du cinéma, et d’autres disciplines comme la musique. Pour cette édition nous avons invité le compositeur Thomas Vaquié à embarquer dans l’aventure avec nous.
« Tout cela est possible à l’Atomium : un playground, un terrain de jeu, dans lequel il suffit de développer ce que l’on a envie de créer au moment où c’est possible » Arnaud Bozzini, Atomium
AB – Oui, c’est de l’art total, le parallèle est juste. À mon sens, c’est possible à l’Atomium aussi parce que rien n’a été conçu pour cette composition globale. L’Atomium n’est pas soumis à un carcan prédéfini, un projet scientifique et artistique créé depuis des siècles, et dont il serait difficile de sortir. C’est de plus en plus rare les lieux qui restent juste dédiés à ce pour quoi ils avaient été créés à la base ; ici, c’est la proposition d’origine sur laquelle on va enchérir à chaque fois. Il pourrait y avoir des formes live / spectacles au sein des œuvres. Tout cela est possible à l’Atomium : un playground, un terrain de jeu, dans lequel il suffit de développer ce que l’on a envie de créer au moment où c’est possible. En bienveillance avec les visiteurs qui viennent visiter un site patrimonial ; on les guide pour appréhender des formats non attendus. On est vigilant au sens des propositions, à la médiation. Ces conditions et cette ouverture sont là à l’Atomium, et elles permettent de faire de l’art total.
C’est la multidisciplinarité du collectif et de l’équipe de Visual System qui est une force. C’est ce qui fait le génie de vos créations ; et c’était bien que pour une fois, tu convoques l’architecture en premier, je me disais justement que c’est un aspect que l’on ne souligne pas assez, notamment quand on parle de l’Atomium. À la base de RESTART, il y a l’architecture de l’Atomium, et le reste c’est du son et de la lumière, mais il y a la réalisation architecturale au sein de cette installation qui est « cachée » dans le noir, et que le Banc permettra d’appuyer.
« Une oeuvre totale ! Pour l’Atomium, on a aussi fait appel à Stéphane Beauvergé, un écrivain de science-fiction pour un mantra qui a été la base de la composition musicale de Thomas Vaquié. » Ambroise Mouline, Visual System
AM – Tout à fait. On considère que c’est la somme de nos compétences qui permet de livrer nos créations au final. Et en fait, ça fait partie intimement du processus créatif, ces discussions et ces échanges entre les sensibilités de chacun, et c’est le fruit de ces discussions qui nous amène à ce qu’on propose. Pour l’Atomium, on a aussi fait appel à Stéphane Beauverger, un écrivain de science-fiction, qui nous a rédigé un mantra basé sur l’histoire que l’on voulait raconter, et qui s’est retrouvé à être la base de la composition musicale de Thomas Vaquier.
Et pour finir sur l’art total, ce que l’on peut appeler ainsi, je pense, c’est aussi le fait de toucher à différents sens. Conjuguer le visuel et le sonore qui s’augmentent quand ils sont vraiment assemblés l’un dans l’autre, et qui augmentent ensuite l’expérience et la rendent encore plus forte.
Et je voulais juste rebondir sur un fondement partagé par Arnaud, plus tôt : comment fait-on pour faire revenir le spectateur ? Nous, chez Visual System, on a l’impression de faire du très grand pour en fait, parler de manière très personnelle aux gens. L’idée, c’est qu’ils s’abandonnent pour ne garder plus que l’émotion et le sensible.
C’est encore très romantique cette conception, et cette envie de vouloir se reposer d’abord sur la contemplation…
AB – Ambroise est très poète, il a raison ! Le mieux c’est encore de venir ressentir tout ça par vous-même !
Atomium
L’Atomium fut conçu et réalisé à l’occasion de l’Exposition universelle de Bruxelles (1958), dont il était le bâtiment phare et l’emblème. Avec pour slogan bilan d’un monde, pour un monde plus humain, l’Expo 58 se voulait être l’expression de la volonté démocratique d’entretenir la paix entre toutes les nations, de la foi dans le progrès aussi bien technique que scientifique et, enfin, d’une vision optimiste dans l’avenir d’un monde neuf, moderne et hyper-technologique qui devrait permettre aux hommes de vivre mieux.
Depuis sa réouverture en 2006 et la mise en place d’un nouveau projet touristique et culturel, en plus d’être l’attraction la plus populaire de la capitale et d’offrir la plus belle vue sur la ville de Bruxelles, l’Atomium offre de l’intérieur, une balade surréaliste à travers des espaces et des volumes tout à fait surprenants qui, à eux seul, méritent le détour.
Visual System
Visual System crée & oeuvre au rayonnement d’un art contemporain monumental et contribue à la représentation de la scène française à l’international.Dépasser les frontières, à la croisée des champs de l’art contemporain en convoquant le cinéma à la technologie, la musique à l’architecture : Visual System explore la relation entre espace et temps, nature et science, rêve éveillé et réalité pour propulser un imaginaire qui immerge au-coeur de l’intime, collectivement.En conjuguant l’art à la lumière, Visual System réunit les continents pour composer un corpus vivant d’oeuvres monumentales — visuelles, sensibles et organiques.
Créé à Paris en 2007, Visual System réunit : Pierre Gufflet + Julien Guinard + Ambroise Mouline + Valère Terrier. « Voir la musique et entendre la lumière » John Cage