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Raphaël Botiveau et Hélène Baillot & le Centre d’art les Capucins à Embrun : filmer les traversées

Tout au long de Transat, les artistes et structures d’accueil prennent la parole autour de leur projet de résidence — à retrouver, ici et sur ateliersmedicis.fr, chaque semaine, à travers des reportages in-situ menés par les Ateliers Médicis et des entretiens menés par jigsaw pour les Ateliers Médicis.

© Raphaël Botiveau & Hélène Baillot

Aujourd’hui : un double entretien avec Raphaël Botiveau et Hélène Baillot, artistes accueillis en résidence par le Centre d’art les Capucins à Embrun, et avec Solenn Morel, directrice conseillère de l’établissement.

© Raphaël Botiveau & Hélène Baillot

Au col de Montgenèvre, dans les Hautes-Alpes, se croisent parfois amateurs de sports d’hiver et Ouest-Africains tentant le franchissement périlleux de la frontière franco-italienne. Comment représenter la complexité et la diversité des expériences qui sont vécues dans cette zone de montagne hybride, entre loisirs et solidarité. Avec des adolescents d’Embrun, Raphael Botiveau et Hélène Baillot enquêteront sur les phénomènes migratoires et leurs représentations médiatiques, ils tâcheront de déjouer les clichés en travaillant des images fixes, d’autres filmées, des archives et différents documents. Parallèlement à l’élaboration de leur propre installation vidéo, les deux artistes, familiers des Alpes et des festivals de cinéma, encadreront les jeunes vers la réalisation d’un film court. Ce travail de création et de transmission prend place au centre d’art contemporain Les Capucins, situé dans une église réhabilitée à Embrun.

© Raphaël Botiveau & Hélène Baillot

Qu’est-ce qui vous a incité à participer à Transat ?

Raphaël Botiveau et Hélène Baillot — Lauréats de la bourse Création en cours en 2017-2018, nous avons décidé de postuler à Transat sur la base d’un projet, en développement, que nous pensions adapté au format de cette résidence. Notre projet porte sur la frontière franco-italienne dans le Briançonnais. Cette frontière est d’abord la plupart du temps inexistant, voire même invisible pour celles et ceux qui la pratiquent au quotidien comme habitants du territoire. Elle l’est encore plus pour ces milliers de touristes qui, été comme hiver, viennent s’adonner aux sports et aux loisirs de la montagne, notamment à Montgenèvre, station de sports d’hiver située sur la frontière même. Cette frontière constitue en revanche un obstacle concret et difficile à franchir pour ces personnes, venues d’Afrique via Lampedusa ou du Moyen-Orient et d’Asie via les Balkans, qui tentent chaque jour de passer clandestinement en France par le col de Montgenèvre. Traquées par la police et ne connaissant souvent ni la montagne ni ses dangers (en particulier en hiver), elles sont souvent contraintes de prendre des risques pour continuer leur route. C’est cette réalité plurielle de la frontière que nous voulons capter et montrer, ici dans une installation vidéo tournée en bonne partie à Montgenèvre, sur la frontière (l’hiver, celle-ci passe sur les pistes de ski ; l’été elle coupe un terrain de golf international). Développer ce travail dans le cadre même du territoire qui le concerne nous a semblé une opportunité riche et qui correspond à ce que nous aimons et voulons faire. C’est pourquoi le centre d’art contemporain les Capucins, situé à 40 km de Briançon, avec lequel nous étions en contact, nous a semblé un lieu parfait pour ancrer cette résidence. Nous savions aussi que Les Capucins, qui proposent systématiquement une visite commentée de leur lieu d’expositions et accueillent de nombreux publics, notamment des jeunes et des scolaires, allaient dans le sens de ce travail de transmission demandé par Transat.

Comment intégrez-vous la notion de transmission dans votre travail ?

RB & HB — Issus d’un parcours de sciences sociales (nous sommes tous deux docteurs en sciences politiques et avons enseigné les sciences sociales), la notion de la transmission – ou bien celles, qui lui sont liées, de réception et de restitution – est un aspect important des questions que nous nous posons dans notre travail. Il est pour nous crucial, dans l’enquête et la recherche menées en amont de chacun de nos projets, de dire nos intentions et les raisons qui les soutiennent, en essayant d’appréhender autant que faire se peut la réception de notre travail. Pour le dire simplement, si les personnes que nous filmons ne sont pas forcément d’accord avec notre propos, nous aimons qu’elles se reconnaissent dans ce que nous montrons d’elles et de leur vie. La réception est liée à l’enjeu de représentation. Dans notre travail en cours, on se demande par exemple : comment représenter la solidarité dans le Briançonnais sans donner l’impression que des hommes et des femmes blanches viendraient en aide à des « migrants » africains démunis ? Comment représenter les uns et les autres comme acteurs des liens sociaux qui se nouent dans l’échange ? Comment sortir de l’aporie d’une confrontation héros-victimes ? Ces questions qu’il est pour nous nécessaire de se poser avant de poser le cadre et de commencer à filmer, nous en discutons avec les protagonistes de nos films et vidéos et nous essayons d’y sensibiliser les publics avec lesquels nous travaillons dans le cadre d’ateliers. S’il ne s’agit pas pour nous de mettre sur pied des projets participatifs (nous aimons rester maîtres de notre point de vue), nous avons besoin de faire évoluer nos idées et nos images mentales au contact des réalités complexes que nous abordons.

Quelle est la place du territoire et du public dans votre approche de la création ? Comment vos recherches se nourrissent-elles de ces expériences avec le public ?

RB & HB — Embrun est pour nous un lieu de résidence intéressant et important pour le projet que nous menons. Située entre Gap et Briançon, cette petite ville a été l’un des points de départ de l’accueil des exilés dans la vallée de la Durance. Des militants s’y sont organisés pour accueillir d’abord ceux qui arrivaient du Nord de la France et étaient logés dans des CAO (Centre d’accueil et d’orientation). En 2017, devant leurs situations administratives bloquées par le règlement de Dublin, les accueillis entamèrent une grève de la faim et participèrent, avec leur alter ego de Briançon et des personnes solidaires, à une marche vers la Préfecture de Gap. Sillonner ce territoire pour mieux le comprendre et le saisir, c’est ce que nous continuons à faire à Embrun comme à Briançon. Les conditions sanitaires actuelles, qui empêchent le travail avec les centres de loisirs avec lesquels collabore normalement le centre d’art, nous ont incités à nous adapter en continuant à ancrer notre travail par d’autres moyens. En plus de rencontres et rendez-vous informels avec des personnes, nous avons présenté notre démarche et projeté un court-métrage plus ancien sur les mêmes thématiques dans le cadre d’une soirée bimensuelle de projection documentaire (les Docs de l’été) organisée dans un village proche d’Embrun ; nous avons participé à une journée de randonnée/sensibilisation organisée à Montgenèvre par l’association Tous Migrants et dans le cadre de laquelle nous avons présenté notre travail ; nous interviendrons bientôt à l’antenne de la radio locale d’Embrun (R.A.M. Radio Alpine Meilleure) qui est suivie dans la vallée. Ces échanges sont autant de moments durant lesquels nous présentons notre travail et nous nourrissons de ce que les citoyens et habitants de la vallée en disent et nous disent.

© Raphaël Botiveau & Hélène Baillot

Que peut apporter, selon vous, la présence d’artistes Transat au sein du Centre d’art les Capucins ?

Solenn Morel — Ce programme prolonge les résidences de recherche que le centre d’art contemporain les Capucins propose déjà en temps normal, et qui comportent elles aussi des rencontres avec le public. Dans le cas présent, on peut expérimenter des temps de transmission différents, adaptés au contexte estival notamment. Par exemple, un fidèle du centre d’art organise dans son jardin des projections de films ouvertes au public. Ces soirées sont l’occasion de découvrir une œuvre et de rencontrer des artistes hors du cadre institutionnel. Autour d’un buffet, au grand air, les barrières se lèvent, les discussions sont plus nourries, plus intuitives et débordent souvent de la thématique de la séance. À Embrun, le public est friand de ces temps de rencontres informelles, c’est pourquoi ces résidences sont si précieuses.

Comment vos publics peuvent-il se saisir de ces présences en lien votre projet de structure ?

SM — L’absence d’offres culturelles le printemps dernier a ouvert l’appétit du public d’ordinaire déjà très curieux. Il faut toujours renouveler les formes de médiation pour susciter l’intérêt. Le contexte actuel et les contraintes qu’il engendre, imposent d’en inventer de nouvelles. En s’installant plusieurs semaines à Embrun, les artistes en résidence vivent au rythme de la population locale. Cette proximité initie des rencontres plus légères et spontanées, grâce à l’appui de rendez-vous programmés et du relai de la radio locale, la RAM, par exemple, qui invite toujours les résidents à exposer simplement leur projet. Le sujet de recherche de Raphaël et Hélène, parce qu’il abordait la question du franchissement de la frontière de manière originale, a suscité un réel intérêt auprès des associations d’aide aux migrants et des personnes sensibilisées à la question sans qu’elles soient forcément férues d’art. Chaque projet touche ainsi de nouveaux publics, curieux de découvrir le point de vue d’artistes sur des sujets divers, en l’occurence ici politique.

Quelle spécificité de votre lieu vous semble-t-elle cruciale à appréhender de l’extérieur et que pourrait « révéler » le duo d’artistes ?

SM — La question de la transmission est essentielle pour un centre d’art en milieu rural comme le nôtre. Nous avons été confrontés au début à une forme d’incompréhension de la part d’une partie de la population locale. Pourquoi un lieu dédié à l’art contemporain, ici, en montagne ? Nous avons quand même fait le choix d’une programmation pointue et prospective, mais relayée par des actions de médiation adaptées et soutenues. Un projet comme celui-ci a besoin de s’inscrire dans le temps, notre travail de sensibilisation finit par porter ses fruits. Le centre d’art contemporain est de plus en plus un outil dont le public peut se saisir. Les rencontres que génèrent les résidences comme Transat, sont essentielles car elles permettent d’explorer une recherche en profondeur, dans sa complexité, de suivre les chemins tortueux qu’elle emprunte. C’est aussi une manière de « désacraliser » la recherche artistique qui est souvent une aventure collective et perméable au contexte.

🖊️  Double entretien réalisé par jigsaw pour les Ateliers Médicis, à retrouver : ICI

Transat © Graphistes associé·e·s : Kidnap Your Designer

Transat : 102 résidences d’artistes en France, cet été

Transat, ce sont des résidences de 3 à 6 semaines consacrées pour la moitié à la création personnelle de l’artiste et pour moitié à la rencontre avec le public et la transmission. Une bourse entre 2000 € et 5000 € est allouée à chaque résidence en fonction de sa durée et du nombre d’artistes. Transat est financé par le ministère de la Culture, dans le cadre de l’Été culturel. Plus de cent artistes installent leur atelier, du 20 juillet au 30 août, dans des centres de loisirs, EHPAD, MJC, centres d’hébergement, lieux culturels situés dans toute la France, en milieu rural ou quartiers périphériques. Une enquête sur le patrimoine chorégraphique des communautés tamoules en région parisienne, un spectacle sur l’émancipation des enfants avec les résidents d’un EHPAD, une installation participative sur les antennes paraboliques à La Réunion : âgés de trente ans en moyenne, représentant toutes les disciplines, les artistes de Transat partent à la rencontre des enfants et des habitants, pour partager leurs projets de création, transmettre leur passion et leurs savoir-faire.

🏖️ Transat : festival inédit de résidences d’artistes
🕒 Jusqu’au 30 août
📩 Plus d’informations : ICI
👥 Une initiative conjointe des Ateliers Médicis et du ministère de la Culture, avec le soutien de Arte, les Inrocks, Télérama et France Culture
📖 Dossier de presse : ICI