Tout au long de Transat, les artistes et structures d’accueil prennent la parole autour de leur projet de résidence — à retrouver, ici et sur ateliersmedicis.fr, chaque semaine, à travers des reportages in-situ menés par les Ateliers Médicis et des entretiens menés par jigsaw pour les Ateliers Médicis.
Aujourd’hui : un double entretien avec Paul Hommage et Yumi Takeuchi, artistes accueillis en résidence à la MJC Lillebonne à Nancy, et avec Yves Colombain, directeur de l’établissement.
Moins connu que le haiku, le renku est pourtant l’une des trois grandes formes de poésie japonaise, dont la particularité est d’être une œuvre collective. Paul Hommage, qui a étudié une année au Japon, s’en inspire et propose aux enfants de mélanger des fragments de rêve de chacun. Ateliers d’écriture, prise d’images et de son, montage : les participants créeront un court-métrage de toutes pièces, confrontant leurs imaginaires respectifs tout en constituant un collectif et en fabriquant une œuvre commune. Ils découvriront aussi le travail personnel de Paul Hommage : un film où l’on voyage dans les souvenirs de différents protagonistes.
Qu’est-ce qui vous a incité à participer à Transat ?
Paul Hommage — D’une certaine manière le programme de résidence Transat est pour moi une forme de prolongation du projet Création en cours et de cette expérience de travail avec les jeunes. Le projet que j’avais pu mener avec un petit groupe d’enfants m’avait marqué et m’a permis de développer tout un questionnement sur les notions de travail collaboratif et d’imaginaire collectif. Avec Transat, j’aimerais essayer de nouvelles choses avec un autre thème et surtout un autre territoire qui est en l’occurrence ma ville d’origine.
Yumi Takeuchi — Pendant le programme de résidence Création en cours auquel j’ai participé en 2018, j’ai passé six mois à travailler avec des enfants et j’ai pu observer leur richesse créative et leur imagination individuelle. Cette expérience en France m’a amené à réfléchir à ma carrière en tant qu’artiste et dans le même temps, c’est devenu une motivation de travailler avec les gens. Donc c’est quelque chose d’important pour moi dans le fait de participer au programme Transat. Au Japon, on peut souvent voir un type d’atelier auquel des enfants peuvent participer, ces ateliers se tiennent habituellement sur un week-end ou quelques jours pendant les vacances d’été. Mais les projets qui se déroulent sur plusieurs semaines ou plusieurs mois sont très rares. À présent dans les écoles japonaises, l’art, la musique, ou les cours qui potentiellement apportent une pensée poétique sont de plus en plus rares. Je crois que cette tendance n’est pas cantonnée uniquement au Japon mais se généralise dans le monde entier. Donc je pense que ça a du sens de participer à ce genre de projet. À travers ce projet, j’aimerais découvrir à nouveau comment l’éducation et l’art peuvent interagir ensemble.
Comment intégrez-vous la notion de transmission dans votre travail ?
PH — Nous sommes un binôme d’artiste franco-japonais et nous souhaitons produire un court-métrage de fiction qui mélange à la fois des techniques de film d’animation et à la fois des techniques audiovisuelles plus traditionnelles. Cette production vidéo implique de fait la collaboration, le mélange culturel et générationnel. Au travers de cette résidence nous assurons la partie technique avec une sensibilisation aux métiers de l’image et un enseignement notamment des techniques d’animations en abordant avec les jeunes, les notions de relations entre espace et temps, les principes de base du cinéma comme la question de la persistance rétinienne etc… Nous leur montrons aussi comment développer un schéma narratif, élaborer un storyboard, faire un travelling.Nous avons commencé à produire en binôme il y a 7 ans et nous nous sommes intéressés à la question de l’aléatoire dans le collaboratif, c’est-à-dire ce que l’on ne maîtrise pas individuellement que ce soit dans le travail avec d’autres artistes ou avec des enfants. Il y a toujours des surprises, des univers qui se croisent, et ce mélange entre toutes les individualités apporte sans cesse quelque chose de nouveau, de différent. Nous aimons la façon dont cela transforme les projets personnels et les altère. La collaboration révèle un autre aspect de nous-mêmes, et fait surgir une variété de micro-univers au sein d’une œuvre commune.
YT — J’ai évoqué un petit peu « l’éducation », mais plutôt que d’apporter un contenu d’enseignement, en tant qu’artiste je voudrais explorer une nouvelle manière de travailler avec les jeunes. Je pense que les processus de création avec Paul ont des aspects similaires. On porte un projet commun ensemble, on discute des idées, on fait des compromis, parfois on échoue mais on essaye de toujours rebondir. Le fait de ne pas avoir de hiérarchie absolue, que les rôles ne soient pas toujours fixés, de devenir une équipe dans le temps, ce sont des choses qui m’intéressent. Et donc la création qui en ressortira sera la manifestation des solutions que nous aurons élaborées ensemble face à des problèmes particuliers.
Quelle est la place du territoire et du public dans votre approche de la création ? Comment vos recherches se nourrissent-elles de ces expériences avec le public ?
PH — Nous élaborons chaque projet en fonction du lieu où il va être produit ou représenté. Nous avons travaillé dans différents pays : en France, à Taiwan ou au Japon, et nous sommes toujours influencés par les villes que nous traversons et les espaces dans lesquels nous agissons. Après avoir longtemps nourri une pratique d’animation en solo nous avons la chance de pouvoir élargir le groupe et d’expérimenter avec un public non professionnel, ce qui nous apporte de nouvelles problématiques, mais aussi une certaine naïveté qui me semble être essentielle à la création. Je crois que tout le monde développe un imaginaire personnel et à des choses à exprimer, il peut être intéressant d’aider à ce processus par exemple en convoquant les notions de rêves et d’espace urbain. J’ai finalement très peu travaillé à Nancy mais c’est intéressant de revenir dans la MJC où j’ai passé mon enfance. J’ai l’impression de prendre le relais et de redonner quelque chose que j’ai reçu en étant gamin. J’aimerais bien me servir de cette MJC comme d’un décor de fiction, comme je pratique aussi l’installation et le dessin, je souhaiterais pouvoir articuler par ce biais-là, un projet personnel qui intégrerait une création vidéo collective et que l’un nourrisse l’autre.
YT — Je dirais que notre production se déroule essentiellement dans des espaces fermés. Du matin au soir, c’est une grande partie de notre quotidien que nous passons à réaliser nos oeuvres, à en discuter, en vivant ensemble mais sans rencontrer d’autres personnes. Je crois que c’est intéressant que quelque chose sorte de cet environnement « fermé » et se retrouve dans l’espace public, sans trop se poser de questions. Lorsque j’ai commencé à travailler en public, je pensais seulement que je ferai de grosses erreurs. Parce que je m’imaginais en train d’essayer de faire de bonnes réalisations. Mais les workshops sont des choses totalement différentes de nos processus de création habituels. C’est quelque chose de plus réel et de plus agréable. Pour moi l’idéal serait de faire sans cesse des allers-retours entre de la création personnelle et des projets auprès d’un public.
Que peut apporter selon vous la présence d’artistes en résidence Transat au sein de la MJC Lillebonne ?
Yves Colombain — À la MJC Lillebonne de Nancy on recherche la présence d’artistes d’une manière ou d’une autre. C’est un lieu où il y a beaucoup d’activités créatives et artistiques. On recherche parmi nos enseignants des personnes qui sont des artistes, qui se produisent et qui se confrontent aux artistes. Nous avons aussi une galerie d’exposition. Nos ateliers sont ouverts toute l’année pour des artistes qui viennent réaliser des travaux dans tous les champs de la création. Ce qui nous intéresse dans la rencontre avec les artistes c’est le regard différent qu’ils amènent, et leur sensibilité. Au-delà des ateliers on cherche à favoriser ces rencontres par des performances et des expositions dans les murs, et également en organisant des soirées. On est une maison qui vit avec différents tempos. Accueillir une résidence telle que celle de Paul ça rentre dans la logique de notre fonctionnement, et c’est un plus. C’est arrivé de manière rapide et ça représente un challenge de mettre en place les bonnes conditions d’accueil et trouver un public. Il s’agit en l’occurrence d’un double public : à la fois avec de la création in situ, mais aussi avec des artistes qui travaillent avec des prés ados.
Comment vos publics peuvent-il se saisir de ces présences en lien avec votre projet de structure ?
YC — La période est particulière car on a fermé la MJC 15 jours en août, donc la ville est encore un peu en période d’inactivité. Malgré tout on essaye de mobiliser les adhérents pendant cette période estivale. L’atelier avec les enfants a commencé lundi donc c’est tout frais, et ça va se terminer à la fin du mois. On essaye également d’associer les parents des enfants qui participent à la résidence, et de voir de quelle manière il y a un échange entre eux par rapport à ce qu’ils font la journée ici pendant les ateliers. Au total il y a six adolescents qui participent à la résidence. C’est une volonté de notre part d’avoir constitué un petit groupe pour faciliter l’échange autour de l’activité vidéo. C’est une pratique qui nécessite d’être attentif si l’on veut que ça fonctionne comme il faut.
Quelle spécificité de votre lieu vous semble-t-elle cruciale à appréhender de l’extérieur et que pourrait « révéler » le duo d’artistes ?
YC — Nous sommes attachés à l’idée d’un lieu ouvert à tous et dans lequel on peut croiser des gens qui ont une pratique artistique particulière. Le projet de Paul Hommage est vraiment intéressant quant à l’idée de travailler cette forme de représentation japonaise. Le renku je ne connaissais pas, c’est un projet très original qui fait appel à l’imaginaire collectif, une notion intéressante. Mon seul regret c’est de ne pas avoir eu un peu plus de temps en amont pour préparer la résidence bien que la forme de soutien aux artistes accordée soit pertinente. Le projet de Paul est super, c’est un artiste que l’on connaît depuis longtemps.
🖊️ Double entretien réalisé par jigsaw pour les Ateliers Médicis, à retrouver : ICI
Transat : 102 résidences d’artistes en France, cet été
Transat, ce sont des résidences de 3 à 6 semaines consacrées pour la moitié à la création personnelle de l’artiste et pour moitié à la rencontre avec le public et la transmission. Une bourse entre 2000 € et 5000 € est allouée à chaque résidence en fonction de sa durée et du nombre d’artistes. Transat est financé par le ministère de la Culture, dans le cadre de l’Été culturel. Plus de cent artistes installent leur atelier, du 20 juillet au 30 août, dans des centres de loisirs, EHPAD, MJC, centres d’hébergement, lieux culturels situés dans toute la France, en milieu rural ou quartiers périphériques. Une enquête sur le patrimoine chorégraphique des communautés tamoules en région parisienne, un spectacle sur l’émancipation des enfants avec les résidents d’un EHPAD, une installation participative sur les antennes paraboliques à La Réunion : âgés de trente ans en moyenne, représentant toutes les disciplines, les artistes de Transat partent à la rencontre des enfants et des habitants, pour partager leurs projets de création, transmettre leur passion et leurs savoir-faire.
🏖️ Transat : festival inédit de résidences d’artistes
🕒 Jusqu’au 30 août
📩 Plus d’informations : ICI
👥 Une initiative conjointe des Ateliers Médicis et du ministère de la Culture, avec le soutien de Arte, les Inrocks, Télérama et France Culture
📖 Dossier de presse : ICI