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Explorer le temps de la recherche avec Camille Juthier

Lauréate de la sélection 2019 attribuée par les Ateliers Médicis avec le Salon de Montrouge, Camille Juthier est en résidence de recherche et création aux Ateliers Médicis où elle explore des pistes de travail.

« La recherche est un temps où l’on accepte de se laisser traverser par l’espace dans lequel on arrive, pour observer ce que ça produit. »

Camille Juthier
Image extraite de Sous la lune, 7,83 hertz (vidéo, 13’10, 2019) © Camille Juthier

« Je pense à mon enfance et à mon adolescence à la campagne. Je m’aperçois ici, à Clichy-sous-Bois / Montfermeil, qu’à bien des égards, cette expérience peut être rapprochée de celle de la banlieue – la représentation dans les médias en moins. À cette époque, je m’identifiais aux jeunes de banlieue, alors même que je n’y avais jamais été, parce que j’écoutais du rap à la radio. Il n’y avait pas Internet, et peu de récits sur l’expérience d’être jeune en espace rural. Le vide, l’éloignement. »

« Fouiller en soi, trouver les souvenirs »

« La recherche est un temps où l’on accepte de se laisser traverser par l’espace dans lequel on arrive, pour observer ce que ça produit. Quelles sensations cela provoque ? Il y a un truc quand on fait quelque chose de nouveau : on essaye de comparer à ce que l’on connait déjà̀. On cherche des repères. On peut se dire : c’est dommage, de toujours se rapporter au connu, comme si ça empêchait d’accueillir véritablement le nouveau. Je pense au contraire que c’est beau, ça oblige à fouiller en soi, à trouver les souvenirs, les expériences, qui peuvent résonner. »

Camille Juthier – Mon interprétation des textes de Pierre Martin sur le « Mautisme », Camille Juthier, recherches.

« Notre langage commun »

« J’ai décidé aux Ateliers Médicis de poursuivre un travail que j’ai entamé avec mon frère il y a quatre ans autour de l’autisme et des difficultés psychiques. Mon frère est TSA (Trouble du Spectre Autistique) et ce travail avec lui s’est jusque-là traduit par des vidéos, des installations et des peintures. Il peint et se filme lui-même. C’est devenu notre langage commun. J’ai rapidement eu l’envie de poursuivre ces recherches et de les déplacer du cadre familial au cadre d’un nouveau territoire avec ses problématiques propres. »

Simon, Des murs dans l’eau, 2019 © Camille Juthier

« Il est question dans mon projet des perceptions des personnes autistes, mais aussi des perceptions de la société à leur égard. Encore une fois, les personnes que l’on qualifie de « handicapées mentales », sont de multiples façons mises à la marge. […] La plupart du temps, comme le pointe Joseph Schovanec, philosophe et voyageur autiste, les IME (Instituts médico-éducatifs), ESAT (établissement et service d’aide par le travail), foyers occupationnels… se trouvent en zone rurale ou péri-urbaine, rarement en centre-ville. »

La forêt en papier

« L’atelier est un espace refuge mais aussi un endroit d’où l’on peut oublier de sortir. »

Camille Juthier

Le 11 mars, Camille Juthier menait un atelier avec les élèves des classes de 6e et 5e option arts plastiques du collège Robert Doisneau de Clichy-sous-Bois et leur enseignante Lolita M’Gouni.

« J’adorais me perdre dans la forêt de Bondy, à l’époque peu de gens s’y aventuraient. Pour rejoindre notre repère, il fallait traverser le chemin sinueux, contourner la mare et les petits cailloux ovales, sans tomber dans la vase, ignorer les crapauds, passer les trois peupliers, longs et fins, puis les buissons de houx piquant, le grand chêne, et enfin, là, juste derrière, notre cabane ! » 

Camille Juthier avec les élèves de Lolita M’Gouni au collège Robert Doisneau de Clichy-sous-Bois et leur enseignante

« Après avoir lu le texte, le défi était posé aux élèves : représenter la forêt avec un papier uni d’une seule couleur ! Les élèves ont alors construit un espace en trois dimensions en utilisant seulement du papier ! »

« L’atelier est un espace refuge mais aussi un endroit d’où l’on peut oublier de sortir. Sans atelier, le travail est remis en jeu. On ne peut ni se reposer sur un cadre ou un lieu que l’on connaîtrait, ni sur une méthode de travail pré-existante. Aux Ateliers Médicis, il faut d’abord rencontrer le lieu, les gens qui l’habite et le fabrique. J’ai rencontré par exemple Lolita M’Gouni, enseignante en arts plastiques au collège Robert Doisneau de Clichy-sous-Bois et ses élèves de 6e et 5e option arts plastiques. J’ai été touchée par son engagement avec les élèves. Elle joue un rôle central pour eux.elles. Nous allons mener ensemble des ateliers, dans la forêt de Bondy. »

Entretien réalisé par les Ateliers Médicis, dans le cadre de la série : « Deux ou trois choses sur ».

Camille Juthier © Louise Masson

Qui est Camille Juthier ?

Née en 1990, Camille Juthier vit et travaille à Paris. Après avoir obtenu une licence en philosophie, elle suit un cursus aux Beaux-arts de Nantes Métropole, où elle obtient en 2018, son DNSEP avec les félicitations du Jury. Elle expose en collectif à la biennale de Dakar, pour le projet « Musée du futur ».

En 2015, elle co-fondait un collectif de performers, Hashbank, qui s’intéressait aux identités numériques jusqu’en 2018. En 2019, elle est lauréate de la Cité internationale des arts de Paris où elle effectue une résidence, et du programme de résidence croisée Paris-Budapest en partenariat avec l’Institut français. Elle est exposée lors de la dixième édition de la design Parade de Toulon, par le studio Rochée, et au sein de la station 16 du Laboratoire Espace Cerveau à l’Institut d’art contemporain de Villeurbanne durant la 15e Biennale de Lyon. La même année, elle est également lauréate de la sélection attribuée par les Ateliers Médicis avec le Salon de Montrouge qui organise chaque année une sélection de prix pour la promotion des jeunes artistes contemporain·e·s.

En 2020, elle est en résidence de création aux Ateliers Médicis et sera exposée à l’orangerie de Sucy-en-Brie, au sein de l’exposition Temps mêlées, puis en résidence à la Fondation Fiminco.