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Anna Mezey & la Résidence la Butte aux Pinsons à Bagnolet : créer une micro-fiction poétique

Tout au long de Transat, les artistes et structures d’accueil prennent la parole autour de leur projet de résidence — à retrouver, ici et sur ateliersmedicis.fr, chaque semaine, à travers des reportages in-situ menés par les Ateliers Médicis et des entretiens menés par jigsaw pour les Ateliers Médicis.

© Anna Mezey

Aujourd’hui : un double entretien avec Anna Mezey, artiste accueillie en résidence par la Résidence la Butte aux Pinsons et avec Boury N’Diaye, aide médico-psychologique dans cet établissement.

© DR

Donner une voix à celles et ceux dont on a beaucoup parlé mais qu’on entend rarement, voilà le projet d’Anna Mezey, jeune écrivaine, qui choisit, après la période de confinement, de recueillir les témoignages de personnes retraitées. L’EHPAD de la Butte aux Pinsons, à Bagnolet, en Seine-Saint-Denis, sera le lieu de construction de ses micro-fictions poétiques et les voix des résidents en seront le cœur. Anna Mezey recueillera leurs témoignages dans une écriture fidèle, sans aucun mot qui ne vienne des résidents. Puis, à partir de l’écriture de leurs paroles, elle propose des ateliers d’écriture et un travail de collage avec des déclarations d’experts, d’articles de presse… pour arriver à une écriture collective de cette période d’isolement. Les histoires, les mots s’entremêleront pour écrire et composer une œuvre poétique.

© Anna Mezey

Qu’est-ce qui vous a incité à participer à Transat ?

Anna Mezey — Transat représentait pour moi l’opportunité de reprendre une activité après cet étrange printemps, de me retrouver avec des gens à nouveau. J’avais des idées d’écritures liés à la situation de confinement que nous avons vécue qui se sont concrétisées autour de cet appel. « Confinement collectif » s’empare de la langue et de la parole des autres en s’appuyant sur l’expérience de ce printemps. J’ai commencé à recueillir différents témoignages sur la façon dont les personnes au foyer autonome de la Butte aux Pinsons à Bagnolet l’ont vécu. Avec cette matière, je développerai des micro-fictions, pour composer et créer une œuvre poétique. J’avais pu participer à une des précédentes éditions de Créations en Cours et j’apprécie ce genre de dispositif qui permet de nourrir ma pratique ; il me semblait que c’était une bonne manière de reprendre, d’aller sur le terrain, à la rencontre des autres. 

Comment intégrez-vous la notion de transmission dans votre travail ?

AM — La transmission m’apparait naturelle dans mon processus de travail : je ne crée pas seule. Il y a ce paradoxe qui fait qu’au moment où l’on écrit on est seul mais en même temps on résonne des voix des autres. J’ai eu envie après ce confinement de reprendre le format des ateliers collectif pour confronter mon expérience à celle des autres et me nourrir de ce va et vient. Lors de ces ateliers qui peuvent prendre la forme d’une conversation autant que d’exercices d’écritures, je mène une recherche, je recueille de la matière pour mes propres créations. J’ai besoin d’être située à ce niveau du réel. J’utilise volontiers le terme d’enquête, peut-être aussi comme une habitude venue de mes études de sociologie. Je n’avais encore jamais été confrontée au public du 3e âge avant d’entrer en résidence à la Butte aux Pinsons mais cela entre totalement dans ma démarche qui vise à donner la parole à ceux qu’on entend rarement, quand bien même on en parle beaucoup. Après le confinement, il me semblait d’autant plus nécessaire d’aller recueillir ces impressions, ces expériences.

Quelle est la place du territoire et du public dans votre approche de la création ? Comment vos recherches se nourrissent-elles de ces expériences avec le public ?

AM — Je compose souvent à partir des paroles différentes que je recueille. Je me suis rendu compte que cette capacité à aller vers les gens, à mener des entretiens définissait quelque chose de mon rapport à la littérature. Il arrive un moment où même si je reste fidèle à ce que j’entends, je m’approprie les mots des autres pour en faire de la fiction. J’ai toujours pratiqué l’écriture. D’abord en suédois, ma langue maternelle, puis en français. Le territoire ainsi que le public ont en effet une place centrale dans mon approche de la création. Pendant longtemps j’ai exploré, en partant de mon vécu de suédo-hongroise vivant en France, la question des langues maternelles et des langues parlées. Ainsi j’ai crée avec des publics scolaires des objets littéraires ou des œuvres de poésie sonore pour proposer une réflexion sur la façon dont notre identité se transforme à travers les langues parlées / non parlées et la façon dont on se construit « ailleurs », ce qui reste en nous lorsque l’on vit en exil. Si la question des langues reste toujours au cœur de ma recherche, « Confinement collectif » s’empare de la langue, de la parole des autres et de leurs expériences, de leur environnement. 

La Résidence la Butte aux Pinsons © DR

Que peut apporter, selon vous, la présence d’un artiste au sein de la Résidence la Butte aux Pinsons ?

Boury N’Diaye — La Butte aux Pinsons est une résidence autonomie (foyer-logement), les retraités vivent dans des appartements de 33m carrés, ils participent aux activités et ateliers s’ils en ressentent le besoin. La présence d’un artiste au sein de la structure pour échanger sur le confinement du printemps, leur permet de s’exprimer, autour de ces moments très difficiles, ce qu’ils n’ont pas forcément osé faire avec le psychologue qui intervenait. Les ateliers permettent de libérer la parole et de stimuler la mémoire, ils prouvent aux résidents qu’ils ont des capacités d’écriture. Qu’ont aie fait appel à eux leur montre aussi qu’on a besoin d’eux et de leurs expériences. Ce n’est pas parce qu’ils sont à la retraite qu’ils ne peuvent pas apporter à la population. Anna Mezey vient récupérer leur ressenti et cela les valorise.

Comment vos publics peuvent-il se saisir de ces présences et quelle est la place d’une approche artistique dans votre projet de structure ?

BN — On a eu plusieurs occasions de partager des projets avec des artistes toutes les actions menées répondent à notre projet de service. La présence d’Anna Mezey est bénéfique pour les résidents, qui sont toujours partants pour participer à ces actions. L’artiste qui intervient est une professionnelle  de l’extérieur, qui ne relève pas du  médico-social,  ce qui permet sans doute de se sentir plus à l’aise pour parler du confinement. Nous mettons tout en place pour que les résidents puissent s’exprimer avec liberté et en sécurité.                                                                                                   Ils  se sentent valorisés pendant ces temps d’écriture de partager de  leur savoir  et de discuter sur les nouvelles informations sur le printemps. On discute d’ailleurs avec eux au delà des moments passés avec l’artiste il y a une vraie continuité. Par exemple, après le départ d’Anna Mezey, j’ai eu l’occasion d’échanger avec une  résidente du résumé de l’atelier d’écriture. Après nous avons aussi eu un moment de chant, tous ensemble, un moment de gaieté, de plaisir.

Quelle spécificité de votre lieu vous semble-t-elle cruciale à appréhender de l’extérieur et que pourrait « révéler » un artiste ?

BN — Nous menons au quotidien un accompagnement collectif et individuel des résidents. Le fait que Anna Mezey soit là permet de travailler sur ces deux aspects, à la fois sur la vie sociale et l’accompagnement individuel de chacun. Ce temps d’écoute et d’ouverture sur l’extérieur est bénéfique. Toutes les actions menées par l’artiste répondent à notre projet de structure, dédié au service. Passer un moment personnel autour d’un sujet précis – comme le fait Anna Mezey avec son projet de résidence – permet d’intervenir sur ces moments là, en relation avec la façon dont nous accompagnons les résidents au quotidien.

🖊️  Double entretien réalisé par jigsaw pour les Ateliers Médicis, à retrouver : ICI

Transat © Graphistes associé·e·s : Kidnap Your Designer

Transat : 102 résidences d’artistes en France, cet été

Transat, ce sont des résidences de 3 à 6 semaines consacrées pour la moitié à la création personnelle de l’artiste et pour moitié à la rencontre avec le public et la transmission. Une bourse entre 2000 € et 5000 € est allouée à chaque résidence en fonction de sa durée et du nombre d’artistes. Transat est financé par le ministère de la Culture, dans le cadre de l’Été culturel. Plus de cent artistes installent leur atelier, du 20 juillet au 30 août, dans des centres de loisirs, EHPAD, MJC, centres d’hébergement, lieux culturels situés dans toute la France, en milieu rural ou quartiers périphériques. Une enquête sur le patrimoine chorégraphique des communautés tamoules en région parisienne, un spectacle sur l’émancipation des enfants avec les résidents d’un EHPAD, une installation participative sur les antennes paraboliques à La Réunion : âgés de trente ans en moyenne, représentant toutes les disciplines, les artistes de Transat partent à la rencontre des enfants et des habitants, pour partager leurs projets de création, transmettre leur passion et leurs savoir-faire.

🏖️ Transat : festival inédit de résidences d’artistes
🕒 Jusqu’au 30 août
📩 Plus d’informations : ICI
👥 Une initiative conjointe des Ateliers Médicis et du ministère de la Culture, avec le soutien de Arte, les Inrocks, Télérama et France Culture
📖 Dossier de presse : ICI