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Un huis-clos pour sonder l’âme du Théâtre avec Pierre Martin

Explorer la géographie du Théâtre Nanterre-Amandiers, aussi vaste par son histoire que par sa transformation totale en cours. Pierre Martin – artiste associé – délivre, au moment de la fermeture aux publics : une carte blanche inédite, un court-métrage en huis-clos qui sonde les espaces et les esprits du lieu où le temps est suspendu : Nanterre. Que raconte un théâtre, ses scènes, son hall, ses recoins, ses légendes et supersititions ? Entretien avec Pierre Martin à l’occasion de la sortie de Nanterre, disponible en ligne pendant tout l’été sur nanterre-amandiers.com

Nanterre © Pierre Martin
Nanterre © Pierre Martin

« La seule chose que je savais, c’est que nous allions chercher à raconter quelque chose ensemble » 

Pierre Martin

En résidence au Théâtre Nanterre-Amandiers, vous avez proposé un premier regard par la vidéo sur le lieu avant le début des grand travaux du Théâtre. Que cherchiez-vous à enregistrer ? Quelle histoire vouliez-vous raconter ?

Pierre Martin — Cela peut sembler difficile à imaginer, mais je n’avais aucune idée de ce que nous allions raconter avec Nanterre. D’ailleurs, le film n’avait même pas de titre à l’origine. L’idée, c’était de répondre à l’invitation de Christophe Rauck et de l’équipe du Théâtre Nanterre-Amandiers, qui nous ont ouvert les portes, avec une confiance aveugle. Ça se résumait à ça : « viens faire des images du Théâtre avant sa fermeture ; tu as carte blanche. » Personnellement, la seule chose que je savais, c’est que nous allions chercher à raconter quelque chose ensemble (avec Kelig le Bars, éclairagiste, et Maxence Vandevelde, compositeur, et une partie de l’équipe du théâtre), dans un lieu et un temps définis. En ce sens, on peut dire que Nanterre est un film d’opportunité, réalisé grâce à des personnes avec lesquelles j’avais envie de travailler. C’était assez concret, comme désir, en fait.

« Comment arrive-t-on à sonder l’âme d’un lieu avant qu’il ne ferme ses portes et qu’est-ce qu’il a à nous raconter ? »

Pierre Martin

Pierre Martin — La géographie m’intéressait dans cette démarche : comment explore-t-on un lieu de manière plus ou moins exhaustive, physiquement en tous cas ? Comment arrive-t-on à sonder l’âme d’un lieu avant qu’il ne ferme ses portes et qu’est-ce qu’il a à nous raconter ? Chose importante : le film a été déclenché par les travaux. Je savais que le Théâtre allait fermer et qu’il ne serait plus accessible pendant de longs mois. Il me resterait donc l’image de cet immense plateau dans cette grande salle un peu décatie. J’avais dû le voir une seule fois, il y a assez longtemps… Mais j’en conservais un sentiment très intimidant. Pour moi, il y avait dans ce lieu quelque chose de l’ordre du temple, avec les légendes qui y sont associées : les années Lang, Chéreau bien sûr, des créations incroyables et ambitieuses, etc. Ce n’est pas du tout ma génération, mais quand j’étais adolescent, ces images m’ont marqué. C’est vraiment ça qui m’a donné envie de passer une une grande partie de mon temps dans les théâtres…

Nanterre © Pierre Martin
Nanterre © Pierre Martin

« Je crois que j’essaie de reproduire quelque chose de l’ordre de la salle de répétitions, qui permet de chercher et d’éprouver les choses »

Pierre Martin

Pouvez-vous nous parler davantage du processus d’écriture ? Comment s’est déroulé ce tournage ?

Pierre Martin — Pour ce film, j’ai suivi la méthode – artisanale, empirique et intuitive – que j’avais éprouvée pour mes deux précédents films : La Science et l’Hypothèse et Relativité Générale. C’est d’abord matériel et logistique, en organisant la production de manière légère et mobile. J’ai besoin de pouvoir travailler de manière impulsive, en essayant des choses, sans les figer. Par exemple, je suis incapable d’écrire et de suivre un scénario. La priorité, c’est de pouvoir hésiter, de pouvoir essayer, de pouvoir changer d’idée, de refaire, sans pour autant rendre dingue une équipe de trente personnes. En réalité, je crois que j’essaie de reproduire quelque chose de l’ordre de la salle de répétitions, qui permet de chercher et d’éprouver les choses. De plus, on utilise vraiment les moyens du théâtre : quelques projecteurs, une équipe légère, une machine à fumer et les interrupteurs pour faire clignoter des lumières du bâtiment. L’idée était de tourner des images, et ensuite de voir ce qu’on allaient bien pouvoir raconter.

« Émergent très vite des images très fortes, des souvenirs denses, des figures marquantes, mais aussi des superstitions et des légendes »

Pierre Martin

Pourquoi avoir choisi le thème des fantômes ?

Pierre Martin — S’agissant du thème, l’idée des fantômes s’est assez rapidement imposée au cours de nos échanges avec Kelig le Bars, l’éclairagiste, et Maxence Vandevelde, le compositeur. J’avais l’idée de parler d’architecture, d’essayer de transposer un texte de Genet, aussi. Mais tout cela a été rapidement neutralisé. Puis sont arrivés les fantômes. Dès lors que l’on parle de Nanterre à quelqu’un, émergent très vite des image très fortes, des souvenirs denses, des figures marquantes, mais aussi des superstitions et des légendes. Ces fantômes, c’était vraiment une base très vague, une intuition. Et j’ai toujours l’idée que le film que l’on fait est un bon moyen de savoir si nos intuitions sont justes.

Comment s’organise ensuite le montage ?

Pierre Martin — On a donc créé cette banque d’images un peu désorganisées, en deux-trois jours ; puis j’ai glissé tous les rushes dans le logiciel de montage, chronologiquement. Les images s’alignaient bout-à-bout, sans aucune logique. J’ai ensuite échangé avec Maxence Vandevelde, qui compose la musique et l’ai laissé commencer : grâce à quelques aller-retour, on a écrit la grammaire ensemble. Puis j’ai écrit un texte en reprenant des bribes de sites Internet consacrés à la « fantomologie ». J’ai essayé avec des images d’archives, des photos trouvées sur Internet, mais sans résultat. En réalité, il y a quelque chose de l’ordre du collage, du puzzle. On a remanié la vidéo de manière à raconter quelque chose et à un moment, c’était là.

Nanterre © Pierre Martin

« Peut-être que l’on voulait conserver une espèce d’enfermement, de huis-clos »

Pierre Martin

Vous commencez le film par un plan des gradins pour finir par la scène. On parcourt des espaces de stockage, des lieux où le spectateur ne peut pas accéder ou oublier. Il n’y a pas de vues de l’accueil, du hall, des lieux finalement très reconnaissables des publics…

Pierre Martin — C’est vrai qu’il y a cette boucle du gradin à la scène. Sincèrement, je ne m’en étais même pas aperçu ! On a vraiment filmé tous les lieux du Théâtre, de manière exhaustive, mais les plans extérieurs ont rapidement été évincés. Peut-être que l’on voulait conserver une espèce d’enfermement, de huis-clos. Et a posteriori, je crois que nous avons finalement privilégié les lieux plus polysémiques : la scène, les couloirs, les emblématiques toilettes du Théâtre Nanterre-Amandiers, etc. Mais il n’y a pas de raison consciente à cela. C’est le film qui décide, en réalité.

La musique de Maxence Vandevelde autant que le texte, souvent corrélés, rythme véritablement l’attention. Il semble y avoir une véritable relation d’échange entre vous deux, pouvez-vous l’expliciter ?

Pierre Martin — Les aller-retour, c’est la base de notre relation avec Maxence. Une fois qu’on a fait la structure, j’étais assez étonné : on a parlé que de ce que ça racontait, de l’histoire du film et pas de son esthétique. Le film a beaucoup changé d’une version à l’autre et je crois fondamentalement à l’interaction entre musique et images. Pendant le tournage, la musique de Maxence Vandevelde passait au loin et elle était encore là encore quand on regardait les images. Une chose sûre : mes images deviennent tout de suite beaucoup plus intéressantes avec la musique de Maxence.

« J’aime bien cette idée de la nécessité évoquée par la voix de Chéreau »

Pierre Martin

Comment envisagez-vous la suite de ce projet, pensez-vous poursuivre ce film, lui offrir une suite ?

Pierre Martin — L’invitation est renouvelée pour la saison prochaine, en effet. Pour le moment, je crois que je cherche le dispositif du film : sûrement des improvisations avec des acteurs que j’ai rencontré sur les spectacles de Christophe Rauck, au beau milieu du chantier. S’agissant du thème, je cherche encore la nouvelle nécessité qui me poussera à écrire le prochain film. J’aime bien cette idée de la nécessité évoquée par la voix de Chéreau dans Nanterre.

✒️ Entretien réalisé par Henri Guette pour balto — jigsaw

Pierre Martin © DR

Qui est Pierre Martin ?

Après des études de littérature contemporaine et de journalisme, Pierre Martin devient créateur vidéo pour le spectacle vivant. Son travail se concentre aujourd’hui sur la relation entre texte et image, le design graphique et l’utilisation de la vidéo live. Avec Si vous pouviez lécher mon cœur et le metteur en scène Julien Gosselin, il a créé la vidéo des Particules élémentaires (Avignon, 2013), de 2666 (Avignon, 2016) et de la trilogie Don DeLillo (Avignon, 2018). Il travaille également avec Tiphaine Raffier (La Chanson, Dans le Nom, France-fantôme et La réponse des Hommes) et Christophe Rauck (La Faculté des rêves et Dissection d’une chute de neige en 2020 et 2021). Avec Ted Huffman, il conçoit la vidéo de concerts et d’opéras à Londres (4.48 Psychosis), Amsterdam (Trouble in Tahiti) et Philadelphie (Denis & Katya).

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