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Les formes comme des récits : un nouveau langage visuel pour le Théâtre Nanterre-Amandiers avec Paul Cox

Explorer les formes comme des récits. Paul Cox – peintre, graphiste et artiste – est invité, depuis quelques mois, par Christophe Rauck, directeur et l’équipe du Théâtre Nanterre-Amandiers à composer un langage visuel inédit. Un nouveau chapitre dans la relation du théâtre et son territoire, avec les artistes et les publics. D’Apollinaire à la notion de vivant au cœur de son processus : une conversation avec Paul Cox, en mouvements, en formes et en couleurs.

Vidéo de Paul Cox donnant forme au logo du Théâtre Nanterre-Amandiers © Pierre Martin

« Comme un porte-voix, ou comme une bouche, connaissant la place que les mots, les textes, les voix ont au coeur du projet »

Paul Cox

Associé au nouveau projet du Théâtre Nanterre-Amandiers, dirigé par Christophe Rauck, vous poursuivez avec lui une collaboration plus ancienne. Quelles sont les influences et la vision du graphisme qui vous réunissent ?

Paul Cox — Cela fait plusieurs années que je travaille avec Christophe Rauck, sept précisément. Notre collaboration a commencé lorsqu’il a pris la direction du Théâtre du Nord à Lille. La première fois que je l’ai rencontré, il m’a parlé d’une affiche qui l’avait marqué, réalisée par Calder pour le Théâtre du Soleil de Mnouchkine. Il en aimait le côté fait main et la respiration due à la présence du blanc. C’est une image tutélaire dans laquelle je me retrouve, j’utilise très souvent l’écriture manuscrite et cette notion de respiration m’intéresse beaucoup. Christophe a été bien inspiré de me donner cet exemple. D’autres références, plus anciennes pour moi, ont également nourri le projet, comme celle des livres de Le Corbusier où le mélange des photos, de l’écriture manuscrite et d’aplats de couleurs s’articule de manière très libre. J’aime beaucoup cette utilisation presque obsessionnelle des choses déjà imprimées chez Le Corbusier, c’était nouveau à l’époque, presque de l’ordre du recyclage.

Parmi les traits marquants du nouveau langage créé, vous proposez un nouveau logo pour le théâtre. Comment êtes-vous arrivé à cette forme d’amande ?

Paul Cox — Nous nous sommes beaucoup interrogés sur la nécessité ou non de changer de logo. J’appréciais le côté jeu de construction du logo existant. Nous avons, dans un premier temps, essayé de nous approprier ce jeu de formes très simples; il y aurait eu une forme de continuité. Mais en nous intéressant aussi à l’histoire du théâtre dans laquelle nous voulions nous inscrire, nous nous sommes rendus compte que l’identité graphique du théâtre a toujours été faite de rupture, depuis le A calligraphié de l’époque Chéreau… Ce qui nous a amené à proposer notre vision « des Amandiers » ; la première image que j’ai eue en commençant mon travail c’était en effet l’amande. Il est rare qu’un théâtre ait un nom si concret et si poétique à la fois. Au début, je l’ai dessinée de façon plus trapézoïdale, comme un porte-voix, ou comme une bouche, connaissant la place que les mots, les textes, les voix ont au coeur du projet. On peut aussi y voir un oeil, – en tout cas c’est une forme qui est aussi humaine. L’amande est source infinie de possibles, simple et en même temps d’un symbolisme très riche. On peut y voir aussi une « aile de dérive », cette forme qui stabilise le bateau, ou un médiateur de guitare…

La nouvelle affiche de la saison 21-22 du Théâtre Nanterre-Amandiers, dans l’atelier de Paul Cox © Paul Cox

« L’amande est source infinie de possibles, simple et en même temps d’un symbolisme très riche »

Paul Cox

Vous avez pensé, dès le début, une composition graphique donnant la possibilité de décliner et animer le logo au gré de la programmation…

Paul Cox — Nous n’aimons pas, ni Christophe Rauck, ni l’équipe, ni moi, les choses systématisées et nous avons donc imaginé – à travers ce logo – une forme qui puisse varier. Chaque affiche est basée sur une harmonie de deux couleurs qui varient pour chaque spectacle. La couleur du logo s’adapte, elle peut être différente du rouge vif que nous avons décidé d’utiliser communément. Et le logo existe soit de façon pleine en aplat de couleur, soit de façon évidée comme un tampon. La forme allouée à chaque spectacle n’est jamais visible entièrement sur le format affiche mais apparaît tronquée : je souhaitais que l’image reste un peu mystérieuse et ne se livre pas d’emblée. Le recadrage n’est pas pour autant systématique et, sur d’autres supports, la forme apparait entièrement.

Ces formes schématiques peuvent rappeler le théâtre d’ombre d’une certaine manière qui figure sans véritablement montrer. Pouvez-vous revenir sur le choix des formes ?

Paul Cox — La toute première piste que j’ai explorée était assez proche, en effet, du théâtre d’ombre : des saynètes avec des silhouettes de personnages et d’éléments de paysages, mais que nous avons écartées car trop explicites, trop littérales. La solution retenue a été d’imaginer pour chaque spectacle une forme allusive ou symbolique, dont le lien avec le thème de l’ouvrage n’est pas toujours immédiat à déchiffrer (d’autant que, comme je le disais, la forme apparaît incomplète, tronquée, du moins sur les affiches et dans le programme de saison). Par exemple, l’image choisie pour La Faculté des rêves de Sara Stridsberg est une forme très schématisée de pistolet (pour rappeler l’agression de Valerie Solanas contre Andy Warhol), ou celle pour Dissection d’une chute de neige, de Sara Stridsberg également, montre une version simplifiée du signe féminin qui peut évoquer aussi une couronne inversée, rappelant l’abdication de la reine Christine de Suède, sujet de la pièce.

Dossier de recherches pour la nouvelle identité visuelle du Théâtre Nanterre-Amandiers © Paul Cox

« Garder toujours à l’esprit ces affiches qui chantent tout haut que décrit Apollinaire dans Alcools »

Paul Cox

Les formes dessinées, l’écriture manuscrite se marie avec une police qui rappelle la machine à écrire. La technologie est présente dans votre processus mais peut-on dire que vous soignez un aspect artisanal ?

Paul Cox — La Courier est une police un peu nostalgique qui rappelle en effet la machine à écrire et est, en même temps, liée à une forme de modernité. De ma part, c’était à la fois un clin d’œil à des amis graphistes qui ont utilisé une Courier au Théâtre de La Colline et d’autre part, une police qui me semble se marier joliment avec l’écriture manuscrite utilisée pour les titres, mariage qui ne me semble pas toujours si aisé. La Courier est très aérée et s’accorde bien, je crois, avec ma lettre dessinée. Mon travail joue souvent sur une ambiguïté fait main – ordinateur. L’aspect est très fait main, mais ne saurait exister sans l’outil informatique. J’attache grande importance aux notions de vivant et de chaleureux, plus facilement transmis par la main, je crois, que par le mécanique ou le vectorisé.

Dans le cadre de vos expériences, vous étiez notamment intervenu dans le foyer des théâtres avec des citations qui occupaient l’espace. Est-ce que votre action vous amène(ra) aussi à intervenir dans l’espace au sein du Théâtre Nanterre-Amandiers ?

Paul Cox — J’avais en effet imaginé, à Lille, l’inscription de textes dans les arches du théâtre et, pour l’instant, c’est en réflexion à Nanterre. On en parlé avec le scénographe Alain Lagarde à qui a été confié l’aménagement du hall du Théâtre éphémère des Amandiers (ouverture en octobre 2021).

Sans tout dévoiler mais en nous donnant des premières pistes, que nous dira ce nouveau langage visuel, au fil des mois et des saisons du Théâtre ?

Paul Cox — Mon souhait est de réussir l’équation suivante : image forte et reconnaissable d’année en année, mais surprise de la nouveauté à chaque saison – chacune étant, à son tour, considérée comme un récit, ou du moins réunie par une thématique. Et garder toujours à l’esprit « ces affiches qui chantent tout haut » que décrit Apollinaire dans Alcools. 

✒️ Entretien réalisé par Henri Guette pour balto — jigsaw

Paul Cox © DR

Qui est Paul Cox ? 

Né en 1959, Paul Cox est un peintre, graphiste et illustrateur qui compte parmi les créateurs majeurs de son époque. Il édite des jeux, des livres pour enfants et se passionne pour toutes les techniques d’impression, notamment la lithographie et la sérigraphie. Il est aussi l’auteur de nombreuses installations interactives comme le mémorable Jeu de Construction (Centre Pompidou, 2005), la gigantesque installation de toboggans intitulée Méthode (Lux Scène nationale de Valence, 2007) ou l’installation Plans (Frac Bourgogne, 2013). Il a entrepris la publication de l’ensemble de son travail sous forme de livres dont le second tome, Coxcodex 2, est en cours de réalisation. Paul Cox travaille également pour la scène depuis 1997 avec, entre autres, des chorégraphes comme Benjamin Millepied ou la metteuse en scène Bérengère Vantusso, dont la dernière création Bouger les lignes est présentée cette année au Festival d’Avignon. Il a réalisé l’identité graphique du Théâtre du Nord entre 2014 et 2020.