Manier la matière, la machine et l’objet pour relier l’humain et la technologie
À la rentrée – pour l’ouverture de la Biennale Nemo – Collectif Coin a été invité à investir le CENTQUATRE-PARIS avec Ataraxie. Nous avions alors initié un décryptage des fondamentaux de la création artistique singulière, immersive et sophistiquée de Collectif Coin incarnée par Maxime Houot, son fondateur.
Explorant les limites de sa propre perception, Collectif Coin déploie – depuis maintenant dix années – une pratique à la fois artistique & artisanale. Son questionnement commence à l’atelier, en fabriquant le dispositif qui sera support de sa prochaine création. Artisan-plasticien qui réunit l’humain et la technologie et manie la matière, la machine et l’objet : un triptyque fondamental dans son process artistique.
Nous poursuivons, aujourd’hui, l’exploration à quelques semaines d’EtSi… pièce chorégraphique conçue en duo avec Rachid Ouramdane et avec Lora Juodkaite présentée à Chaillot – Théâtre national de la danse : du 14 au 16 décembre prochains.
Horya Makhlouf pour jigsaw – balto est allée à la rencontre de Maxime Houot.
Entretien passionné – au long cours – pour décrypter et donner à partager les composantes d’un art saisissant qui déploie, au fil des oeuvres : un savoir-faire unique & poétique, où l’on est convié à se plonger pleinement – corps & âme ne faisant qu’un.
La seconde partie est à découvrir ci-dessous, avec un rappel de la première partie en suivant – une réalisation & publication jigsaw.
« Je pense que j’arrêterai le jour où j’aurai chorégraphié un ballet ! »
Le répertoire de gestes que tu compiles pour activer ou perturber le mouvement s’amplifie au fur et à mesure de tes projets et de tes collaborations avec d’autres artistes, d’autres matériaux et machines, mais aussi d’autres disciplines. Tu collabores notamment, pour la deuxième fois, avec Rachid Ouramdane sur un projet dans lequel le mouvement est au cœur de vos préoccupations communes. Pourquoi la danse ? Quelle histoire du mouvement pouvez-vous écrire ensemble ?
Maxime Houot – Collectif Coin – Je ne sais pas pourquoi la danse, mais elle a en elle ce quelque chose que je n’arrive pas à saisir. Je pense que j’arrêterai le jour où j’aurai chorégraphié un ballet ! Mon nouvel objectif ! Aha.
Mes premières vibrations artistiques sont issues de la musique – post-rock, guitare électrique, batterie, machines. Mon intérêt pour la danse est venu ensuite, de manière organique quand Collectif Coin a commencé à émerger. À l’époque, on a commencé à sortir de la scène et à augmenter nos médias et nos outils de création. On a essayé de dépasser nos instruments, nous sommes allés vers la performance comme terrain d’expérimentations. Et le corps est devenu assez central dans mon travail. En tant que spectateur, les pièces qui me touchent plus intensément sont souvent issues de la musique ou de la danse. En complément naturel du corps, le mouvement m’intéresse tout particulièrement. Faire bouger : une action à la genèse de tout acte de création pour moi. Dès les premiers moments sur scène, je me suis intéressé à suggérer le mouvement juste avec deux projecteurs. Je pouvais alors passer des heures à les programmer. La perception que l’on a du mouvement et notamment les études de Gunnar Johansson, dans les années 1970 me fascinent. Comment arriver – à travers 3 LED – à figurer le mouvement d’un homme en train de marcher ou de danser. On touche alors à autre chose – au-delà du mouvement – au minimalisme qui permet de narrer un récit, en très peu de… pixels.
« Il faut véritablement changer en profondeur de paradigme. Plus on va pouvoir être stimulé par un surréalisme contemporain, plus on va pouvoir avancer. »
Tu évoquais le fait de détourner le regard et de se concentrer sur l’émerveillement, n’y a-t-il pas un risque de se déresponsabiliser ?
Maxime Houot – Collectif Coin – Je n’ai pas la prétention de responsabiliser qui que ce soit. Je ne sais déjà pas exactement comment « bien » mener ma vie, alors je ne vais pas dire à qui que ce soit ce qu’il ou elle doit faire. L’artiste est là pour marquer le temps. Et c’est déjà assez important. Il suscite la discussion, point.
Il fournit des prétextes pour réfléchir ensemble et pour échanger. Il peut amener des outils esthétiques ou théoriques, poser des idées et nous amener à réfléchir, à prendre de la distance. On a besoin d’une révolution poétique ! On a besoin de retourner la table et de la mettre, non pas au plafond – parce qu’il n’en faut plus – mais ailleurs encore. Il faut véritablement changer en profondeur de paradigme. Plus on va pouvoir être stimulé par un surréalisme contemporain, plus on va pouvoir avancer. Le rôle de l’artiste, c’est justement de questionner nos repères individuellement & collectivement et nos habitudes pour prendre conscience et susciter des révolutions.
« Le rôle de l’artiste, c’est justement de questionner nos repères individuellement & collectivement et nos habitudes pour prendre conscience et susciter des révolutions »
Tu penses que l’art peut susciter des révolutions ?
Maxime Houot – Collectif Coin – Pas directement. L’art est, pour moi, un viatique qui nous permet de nous élever par plus de culture, d’échanges, de rencontres, de déceptions aussi, de peur et également de passion… Donc, indirectement, l’art peut nourrir une révolution. Par contre, en aucun cas, l’art et notamment mes créations constituent un mode d’emploi ou ne serait-ce qu’un constat. Ce serait bien prétentieux de ma part.
Il y a quelque chose d’effrayant et d’un peu abyssal, dans le fait de se confronter à la réalité et de se rendre compte que nous sommes complètement impuissants par rapport à certains défis qui sont à relever bien au-delà de notre premier cercle d’actions. J’aimerais – comme beaucoup, je pense – que l’on puisse être beaucoup plus direct et intuitif. Si ce que l’on vise est hors de portée, c’est tétanisant. Mon action, en tant qu’artiste est de nourrir l’imaginaire – le mien, en premier lieu – et de le partager ensuite. En tant que spectateur·trice, tu décides, ensuite, si tu souhaites écouter ces histoires que je raconte.
« Il y a quelque chose d’effrayant et d’un peu abyssal, dans le fait de se confronter à la réalité et de se rendre compte que nous sommes complètement impuissants par rapport à certains défis qui sont à relever bien au-delà de notre premier cercle d’actions »
Comment est-ce que tu composes cet idéal d’insouciance et de liberté avec les urgences très pragmatiques dans lesquelles nous sommes plongés aujourd’hui et notamment celle écologique ?
Maxime Houot – Collectif Coin – La question cruciale est comment avoir un impact sur le groupe et activer, ensemble, le changement ? En ce qui concerne l’écologie, on a fait le choix chez Collectif Coin – en tant que compagnie – de décroître. C’est un peu vertigineux de rentrer en décroissance dans un monde en croissance. Autant, quand tu es en croissance, il n’y a pas de limite ; autant, quand tu choisis de ralentir, tu ne sais pas si la machine va se stabiliser avant de se crasher. Nous suivons cette maxime un peu simple qui est : « Ce n’est pas parce qu’on peut le faire, qu’on doit le faire. »
Pendant la première partie du parcours de Collectif Coin, on en a parfois trop fait. Tant humainement, qu’en termes techniques et écologiques. Et on a fait ce choix – qui est un luxe – d’arrêter de « tout » faire. Aujourd’hui, quand on actionne un projet, on s’y prend à trois fois avant de se lancer pleinement. On a appris à dire non. Il y a quelque chose d’hyper paradoxal, pour un artiste, de refuser d’aller à la rencontre des publics, notamment. Un des fondements de l’engagement de l’artiste étant le partage. On met dans la balance d’autres critères que simplement la rencontre, le partage et le fait de jouer. On a ajouté celui de l’impact écologique. Reconsidérer nos déplacements qui coûteraient trop en empreinte écologique est contributif à la quête de l’ataraxie, avec la maîtrise de ses passions comme de ses besoins. Se contenter. Il y a un équilibre à trouver, à atteindre.
« Reconsidérer nos déplacements qui coûteraient trop en termes d’empreinte écologique est contributif à la quête de l’ataraxie, avec la maîtrise de ses passions comme de ses besoins»
Comment quantifiez-vous cette « décroissance » ? Mesurez-vous votre empreinte carbone ?
Maxime Houot – Collectif Coin – Non. On ne devrait pas avoir un permis de je ne sais quoi, ni compter nos points carbone. Je cherche justement un nouvel équilibre, une nouvelle manière de faire qui, sans y penser, pourrait devenir vertueuse. Aujourd’hui, le processus qui t’amène à acheter des fringues, à partir en vacances ou à changer ta bagnole ou ton téléphone, est intégré à notre condition d’humains. C’est ce processus intégré qu’il faut réussir à reprogrammer. C’est ce paradigme-là qu’il faut changer. Globalement. Et bien sûr, il y a aussi les petits gestes, avec leurs paradoxes. J’ai vu un festival où l’équipe de production était très fière d’avoir enlevé toutes les bouteilles en plastique du staff. C’est tellement déprimant. D’un côté, tu te dis bien sûr que c’est bien, évidemment ; d’un autre côté, ça semble très vain. Toute l’énergie qu’un festival doit mettre en œuvre pour remplacer les bouteilles en plastique est colossale. C’est beaucoup de monde qui doit s’occuper de cette alternative, approvisionner des gourdes, mettre en place un système de lavage… Le tout pour réussir à supprimer quelques kilos de plastique, qui ne doivent pas peser bien lourd dans la balance.
Il faudrait trouver le moyen de tou·te·s ralentir en même temps. En tant qu’artiste, si je n’arrête pas d’aller jouer partout et de faire des allers-retours aux quatre coins du monde en avion, ça ne marchera pas. Mais je crois qu’il faut arriver à préciser urgemment cette nouvelle échelle de valeurs, ce nouveau paradigme, qui accompagnera cette décroissance. Il faut le faire avant, au pire en même temps. Sinon : à quoi bon ?
« Mon idéal serait de pouvoir être sûr que si je prélève quelque chose dans la nature, il n’y aura pas de conséquence sur la génération d’après »
Dire non à la logique de l’événement et du spectacle partout, tout le temps, est un premier grand pas, mais vos spectacles demandent aussi, en eux-mêmes et sans bouger bien loin, beaucoup de ressources énergétiques. Comment pratiquez-vous la décroissance à cet endroit-là ?
Maxime Houot – Collectif Coin – On y pense tout le temps, mais c’est difficile de dépasser l’anecdotique et le décevant.
Dans nos installations en tant que telles, il y a évidemment une réflexion récurrente sur la décroissance. Ataraxie a été produite en cannibalisant Abstract, qui est une autre installation. On a fait le choix de réduire une installation qui est toujours diffusée, de réduire sa taille pour reprendre des pièces et les inclure à une autre. Mon idéal serait de pouvoir être sûr que si je prélève quelque chose dans la nature, il n’aura pas de conséquence sur la génération d’après. Nous, en tant qu’artistes et artisans, nous analysons dans l’atelier ce que l’on a et réfléchissons à comment nous pouvons continuer de produire en ralentissant cette course en avant de prélèvement et d’acquisition à tout prix.
« Avec Rachid Ouramdane, en voisins, nous nous sommes concentrés sur la répétition, la transe et le geste »
Peux-tu d’ailleurs nous parler de ta dernière collaboration avec Rachid Ouramdane avec EtSi…, programmée dans la saison de Chaillot – Théâtre national de la Danse, en décembre prochain ?
Maxime Houot – Collectif Coin – Il y avait dès le début, le souahit de créer une petite pièce, de la garder légère et de ne pas partir sur quelque chose de complètement extravagant, qui pourrait vite devenir trop coûteux.
Notre rencontre avec Rachid s’est faite assez naturellement. On était voisins à Grenoble quand il était encore au Centre chorégraphique national. Nos bureaux/ateliers sont juste en face. On a commencé à nous croiser et à nous rencontrer puis à collaborer. De manière très simple — d’abord, sur une première performance, puis sur cette pièce courte. Nous sommes alors partis du mobile lumière dont je me sers pour mon solo qui s’appelle MA. Je lui ai demandé de venir en tant que voisin, me donner son avis sur cette machine et c’est lui qui a fait la connexion avec Lora Juodkaite (danseuse interprète de EtSi…). Nous nous sommes ensuite concentrés sur la répétition, la transe et geste. Simple et radical. EtSi… n’est pas une création que l’on a cherchée ou provoquée ou préméditée. À l’origine de la pièce, c’est vraiment juste un voisin qui rentre dans mon atelier et qui me dit : « Attends, on peut faire un truc. Vas-y, on essaie. »
Je compose la musique en live, au plateau, en même temps que la machine. Je ne conçois pas ma pratique artistique sans musique et c’est même le prétexte à toutes mes créations. Au départ, je fabrique une machine pour jouer avec elle et le jeu musical que je génère intègre ensuite pleinement le mouvement et la lumière. Et Lora, qui danse en symbiose. EtSi… est un triptyque. Trois personnes, telles trois entités, structurent un récit pendant une quarantaine de minutes. La machine, Lora et moi-même. Nous avons écrit une partition à trois ou plutôt à quatre avec la lumière. Je conçois la lumière comme une entité en tant que telle et non comme un outil. Ce qui m’intéresse dans la lumière, c’est sa matérialité.
Ci-dessous, à retrouver la première partie.
« Mon approche de la science et de la technologie est poétique, en tant qu’artiste et non spécialiste »
Ingénieur en physique appliquée de formation, tu es devenu, depuis : artiste et membre fondateur de Collectif Coin — compagnie avec laquelle tu crées des œuvres immersives où les humains et les machines font danser ensemble la lumière et le son. Comment est né Collectif Coin et comment liez-vous l’art, la science et la technologie ?
Maxime Houot – Collectif Coin – Malgré son nom, Collectif Coin n’est en effet pas un collectif mais le nom de ma compagnie, similaire à celles que l’on trouve dans le spectacle vivant. C’est une histoire qui a débuté pendant mes études, il y a plus de 20 ans, avec des ami·e·s. J’ai ensuite gardé la structure administrative pour développer mes travaux. Dans cette compagnie aujourd’hui, nous composons une équipe avec différents corps de métiers à mes côtés – des ingénieurs aux administratifs. En ce qui me concerne, plus précisément – j’ai le rôle de metteur en scène ou de chorégraphe en fonction des pièces que l’on imagine ensemble. Dans ma pratique, je change de médium en fonction de ce que j’ai envie de travailler : chorégraphier parfois un danseur et, à d’autres moments, un projecteur qui va se mouvoir au plafond.
Mon approche de la science et de la technologie est poétique, en tant qu’artiste et non spécialiste. Je serais un peu perdu si tu me demandais de parler précisément de technologie ou d’intelligence artificielle. On peut me qualifier d’artiste numérique, si on a envie mais pour moi, l’art numérique n’existe absolument pas. C’est un raccourci, un excès de langage.
« Dans mon processus de création, je vais être le plus souvent très primaire et très émotionnel, j’aime embarquer le spectateur dans une aventure saisissante »
Pourquoi l’art numérique est-il, selon toi, un excès de langage ?
Maxime Houot – Collectif Coin – Il y a quelques années, j’avais posé une réflexion dans une courte étude : « L’art numérique n’existe pas ! ». Le numérique n’est pas, pour moi, un nouveau médium au sens d’outil de production pour l’artiste et je ne suis pas sûr que le numérique ait permis d’ouvrir tant de nouvelles formes de création. Il y a eu le Net Art dans les années 1990 qui était intéressant à creuser, mais qui s’est vite essoufflé. On ne peut parler réellement d’inédit. Toutes les propositions dites numériques restent rattachées aux propositions ou aux médias historiques : la musique, la peinture, le spectacle vivant, la danse…
Je trouve réducteur de qualifier la création par l’outil qu’elle utilise.
Est-ce qu’il est vraiment pertinent de dire que tu as utilisé un outil numérique dans ton processus créatif ? En tant qu’artiste, il y a des moments où je n’utilise aucun outil numérique. L’art numérique serait davantage, pour moi, une période de l’histoire de l’art. D’abord, par le changement d’échelle des outils de stockage. Avant le numérique, il fallait des « bandes » imposantes pour stocker l’information. À partir du numérique, tout s’est miniaturisé en rendant inaccessible les données à nos sens et en parallèle, le partage et la communication de données ont été démultipliés. Je pense, surtout aux réseaux sociaux – qui sont, à la fois, si récents et si indispensables maintenant. Nous sommes donc tou·te·s artistes numériques !
« L’artisanat est, pour moi, intrinsèque à la création : au sens de maîtriser un geste, une technique. Au coeur du processus de création : ouvrir des questions et des réflexions »
Outre les outils, pour créer, il faut des gestes. Quels sont les tiens ? Et que cherches-tu à composer avec ?
Maxime Houot – Collectif Coin – Quelque soit le projet, ces dernières années, le commencement est toujours similaire : avec une barre d’acier dans la main et un poste à souder et, un ordinateur non loin. À l’atelier. Et le but du jeu va être de faire bouger ce tube en acier d’une certaine manière, de chercher un moyen physique de le mettre en mouvement ou de perturber son mouvement. Je m’intéresse beaucoup au lien entre l’art cinétique et l’art numérique. Dans ma manière de regarder l’art numérique, dans son déploiement historique, il y existe une ligne droite assez évidente entre les deux périodes.
L’artisanat est, pour moi, intrinsèque à la création : au sens de maîtriser un geste, une technique. Au coeur du processus de création : ouvrir des questions et des réflexions. Et naturellement, des mots-notions m’apparaissent et s’imposent comme « ataraxie ». Ils deviennent ensuite le nom de l’oeuvre produite & donnée à partager. Ce sont des mots qui m’accompagnent pendant la création mais qui ne sont pas sujets d’étude en tant que tels. À travers eux, je questionne mon rapport à mes passions et mes possibilités, en tant qu’individu, au contrôle ou non et à sa pertinence. Je ne suis pas sûr que « ataraxie » soit le premier mot qui vienne à l’esprit du public devant l’oeuvre Ataraxie.
« Placer la physique du monde dans la machine permet de dessiner un trait d’union vers l’humain et constitue un point de rencontre naturel »
C’était aussi une des premières préoccupations d’un photographe comme Eadweard Muybridge à la fin du XIXème siècle, de montrer un homme qui marche, ou de certains peintres à la même époque, comme un Géricault qui veut montrer en une image fixe le galop d’un cheval. Au fur et à mesure qu’ont évolué les sciences et les techniques, les moyens pour rendre compte du mouvement et l’image même du mouvement ont profondément changé. Aujourd’hui, tu en rends compte avec des machines dont tu dois écrire les protocoles et les algorithmes qui sauront les faire bouger, en y confrontant parfois des corps humains, appelés à atteindre un équilibre entre une partition préalablement écrite et un certain lâcher-prise. Il y a donc un équilibre à trouver, dans cette histoire du mouvement, entre le lâcher-prise et le contrôle, la part d’aléatoire et la maîtrise. Comment penses-tu cet antagonisme ?
Maxime Houot – Collectif Coin – On revient au ballet, à une partition contrôlée ou plutôt maîtrisée. La technologie permet une maîtrise quasi totale : c’est-à-dire de cadrer et de limiter la place de l’erreur. Je n’utilise pas d’aléatoire, ou d’IA-Intelligence Artificielle. Des moyens qui ne répondent pas à mes souhaits. Mon action, en fil rouge, est de raconter des histoires. Mon activation est d’écrire — et la forme pourrait être un film, un concert, une installation ou toute autre… toujours très cinématographique et très contrôlé. Dans mon processus de création, je vais être le plus souvent très primaire et très émotionnel, j’aime embarquer le spectateur dans une aventure saisissante par l’univers déployé, écrit à la virgule.
En revanche, là où je cherche l’accident ou plutôt l’erreur réside dans la physique couplée au corps humain. Une des premières installations s’appelait Child Hood. C’était une matrice de ballons de baudruche gonflés à l’hélium et chacun était équipé d’une LED qui nous permettait de composer un écran géant en extérieur, au-dessus du sol. La technique était prévue car millimétrée. Là où venait le lâcher-prise et le non-contrôle était lorsque le vent s’y engouffrait et qu’il pouvait, alors, littéralement détruire la matrice ou plutôt mettre l’installation en mouvement d’une manière hyper poétique. Ce que, finalement, je recherche.
Comment est-ce que l’on interagit, nous humains, entre nous et avec les autres habitants du vivant ? Placer la physique du monde dans la machine permet de dessiner un trait d’union vers l’humain et constitue un point de rencontre naturel. Je crée des machines qui, quand je les mets en mouvement, sont très humaines, vivantes et organiques. On repère leurs imperfections et avec toutes & ceux qui me rejoignent au-sein de Collectif Coin sur une pièce précise : on isole une ou deux imperfections pour mettre l’accent précisément sur elles, en jouant sur ce qui va permettre de la mettre en avant. On dissimule beaucoup pour faire apparaître un léger balencement qui devient une affection naissant dans la relation entre l’artiste, le spectateur et la machine.
« On n’est pas loin des pires scénarios de science-fiction. Ma création en est bien éloignée, beaucoup plus simple »
Ce que tu décris rappelle un peu des topoï de la science-fiction et de nombreux romans d’anticipation, où s’écrirait une histoire de l’harmonie et de l’amitié entre les humains et les robots. Est-ce un peu de ce que tu essayes de créer, cette union affective entre les machines et les corps humains ?
Maxime Houot – Collectif Coin – Oui et non. Je suis né dans les années 1980, j’ai grandi avec Terminator – et c’est le meilleur film de la Terre ! Les unions entre l’homme et la « machine »qui se trament ou s’imposent me bouleversent. D’ailleurs, ce lien me panique encore maintenant. J’ai 42 ans et j’en suis traumatisé. L’histoire, l’actualité nourrit la peur. Il suffit de s’intéresser chaque jour à comment l’IA bouleverse nos sociétés et notamment, comment les différentes armées du monde sont en train de préparer doucement le transfert de leurs chaînes de commandement à des IA… On n’est pas loin des pires scénarios de science-fiction. Ma création en est bien éloignée, beaucoup plus simple.
« Il est bon de détourner le regard, parfois pour regarder ailleurs. Essentiel pour moi. Et la poésie notamment peut aider »
À propos de ce sentiment de panique vis-à-vis de l’évolution des nouvelles technologies et les biais à trouver pour ne pas se laisser submerger par l’angoisse, tu disais que ça pouvait être intéressant de se laisser aller. Est-ce qu’il faut selon toi apprendre à maîtriser les choses qui nous dépassent ou épouser le flux et le mouvement ? Comment atteindre l’ataraxie et l’apaisement de l’âme que tu mentionnais plus tôt ?
Maxime Houot – Collectif Coin – En tant que citoyen de ce monde en transformation, parmi je ne sais combien de milliards d’humains, je me questionne bien entendu et je n’ai vraiment pas de réponse ou de certitude. Je rattache l’ataraxie aux logiques de domination qui sont inhérentes au vivant. Et ce, bien au-delà du patriarcat ou bien au-delà de tout ce que l’on peut subir ou exercer comme rapport de force. Nous sommes rattrapés dans tout un tas de certitudes. On est clairement en train de « foutre en l’air » le monde à toutes les échelles – tant avec le réchauffement climatique qu’avec l’effondrement du vivant. Viser l’ataraxie, pour moi, est se tenir à distance de la passion avec un P majuscule. Je suis ingénieur en physique appliquée de formation et je suis incapable de t’expliquer quoi que ce soit en physique. Je n’ai vraiment rien retenu de pratique. Mais je me rappelle ce que l’on m’a raconté : des petites histoires sur les choses qui me faisaient briller les yeux. Il est bon de détourner le regard, parfois pour regarder ailleurs. Essentiel pour moi. Et la poésie notamment peut aider.
Chaillot – Théâtre national de la Danse
Chaillot – Théâtre national de la Danse est l’un des six théâtres nationaux français (établissements publics dont les missions sont définies par l’État) et le premier à porter un projet construit autour et à partir de la danse.
Chaillot est une fabrique du lien, un théâtre des diversités des formes, des publics et des esthétiques qui rassemble, accessible à tous. Chaillot inscrit la danse au cœur de la société tout en rapprochant des mondes. Chaillot pense une hospitalité du dedans et du dehors en investissant son patrimoine Art déco autrement notamment pendant les Journées Européennes du Patrimoine ou en proposant des visites guidées du bâtiment. Chaillot est une maison vivante tout au long de l’année avec une constellation d’artistes associés.
Après le Chaillot Expérience : Focus Numérique qui s’est déroulé en 2022 et 2023, Chaillot accueille de nouvelles propositions numériques innovantes pour expérimenter des dramaturgies numériques et immersives avec Chaillot Expérience : Hautes Fréquences et Rachid Ouramdane, Collectif Coin, Lora Juodkaite, Jean-Baptiste Julien, du 14 au 16 décembre. La soirée est composée du spectacle de Rachid Ouramdane & de Collectif Coin Etsi… qui mêle danse, effets visuels et sonores et un ciné-concert dans le Foyer de la Danse où Jean-Baptiste Julien et quatre musiciens jouent en live la partition du spectacle Variation(s) de Rachid Ouramdane.
Chaillot Augmenté, un projet de laboratoire numérique en préfiguration. Chaillot développe un projet d’envergure, Chaillot Augmenté, qui a pour ambition de mettre les technologies numériques au service de la création artistique et de la diffusion des œuvres. Chaillot va permettre aux artistes de disposer d’un ensemble d’outils et d’expertise pour placer le corps au centre des expérimentations artistiques et technologiques.
Collectif Coin
Depuis 2013, Collectif Coin emmené par Maxime Houot a créé de nombreuses pièces sonores & visuelles présentées sur la scène internationale. Explorant les limites de sa propre perception, Collectif Coin déploie une pratique à la fois artistique et artisanale. Son questionnement commence à l’atelier, en fabriquant le dispositif qui sera support de sa prochaine création. Artisan-plasticien qui manie la matière, la machine et l’objet : un tryptique fondamental dans son process artistique. Collectif Coin est la compagnie avec laquelle Maxime Houot aime expérimenter, en croisant son travail avec celui d’artistes d’autres disciplines : la danse, la musique et le spectacle vivant.