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Rayon vert : un coucher de soleil après l’autre avec Fernrohr

© Odilon Coutarel et Lisa Bayle

Exploration avec Le Rayon Vert d’une façon d’habiter le monde et de prêter attention aux signes par une nouvelle expo et toujours des rendez-vous au coucher du soleil d’été portés par le collectif Fernrohr. 

Un coucher de soleil vu dans les fenêtres du Houloc © DR

Il arrive qu’on l’aperçoive au dernier rayon du soleil couchant. Le Rayon vert tient autant d’une légende que du phénomène optique. Furtif, il n’apparaît qu’une fraction de seconde. Elliptique, il n’est pas toujours reconnu par ceux qui le voient. Le temps d’un été, artistes et auteurs, scientifiques et musiciens vous donnent rendez-vous tous les jours, au coucher du soleil, pour partir à sa recherche.

Collectif Fernrohr

Après l’exposition L’éclat dans l’oeil du soleil au Houloc, la saison du Rayon Vert se poursuit avec un nouvel accrochage dans un appartement public et toujours en ligne avec des rdvs à l’heure du coucher du soleil auxquels prennent part des artistes comme Maxence Vandevelde, Manon Thierry, Rémi Martin ou encore Louise Desnos…

Photogramme du film d’Eric Rohmer Le Rayon vert  © DR

« Je peux croire à une chose, je peux croire aux cartes à jouer trouvées dans la rue… »

L’été tant attendu sera-t-il à la hauteur de nos films de vacances ? Il suffit d’un imprévu, d’une contrariété pour se sentir perdu dans la chaleur d’un Paris désert. Delphine ne sait pas si elle reste ou si elle part, si elle va à la mer ou à la montagne. Le personnage errant du Rayon vert d’Eric Rohmer est confronté au temps libre dans ce qu’il a de plus vertigineux : l’embarras du choix. Les vacances nous laissent face à nous-mêmes, seul.e ou entre ami.e.s, elles nous amènent à prendre position, à s’affirmer face à de nouvelles rencontres.

Alors que nous sommes toujours tenté.e.s de remettre à plus tard, le rythme des jours nous rattrape. Le rayon vert est le dernier rayon du soleil à frapper sur la mer. Il est dit, notamment par Jules Verne que celui qui en est témoin voit un instant clair dans son cœur. Même quand les conditions climatiques le permettent, le rayon vert a quelque chose d’insaisissable ; c’est un évènement qui nous dépasse. On a beau prêter attention aux signes, comme aux cartes à jouer dans la rue, il nous faut avancer à tâton, avancer pour mieux revenir sur nos pas. Si la lumière et le paysage peuvent agir à la manière de révélateurs romantiques et insuffler un sentiment d’harmonie, le regard que nous portons sur nos expériences nous appartient. Le rayon vert apporte peut-être une émotion profonde, il nous permet d’avancer dans un été irrésolu. 

Un siècle après la parution du roman du Jules Verne, véritable voyage sentimental dans les Highlands écossaises, Eric Rohmer propose en 1986 une transposition du Rayon Vert. L’héroïne incarnée par Marie Rivière cherche alors comment occuper son temps et habiter un espace dans une cartographie française qui de Cherbourg à Biarritz et de Paris à La Cluzaz se pare aussi d’un enjeu émotionnel.

Site web Le Rayon Vert © Fernrohr / Graphisme : Odilon Coutarel et Lisa Bayle / Code : Théa Dos Santos 

Un site pour attendre le coucher du soleil

Le Rayon vert de Jules Verne n’a cessé d’inspirer les scientifiques qui se sont empressés de chercher les causes de ce phénomène mais également les cinéastes tels que Rohmer qui en signe une intelligente adaptation ou les artistes de Duchamp à Tacita Dean en passant par Evariste Richer et Tacita Dean. Ni le milieu du spectacle vivant et l’on pense à Thomas Quillardet, ni la musique que ce soit Gavin Bryars ou plus pop Housse de Racket n’ont oublié ce récit qui nous apprend à chercher des signes dans l’horizon et à être attentif aux variations de lumières.  

Pour reprendre le cycle vernien, différentes personnalités invitées par le commissaire général Henri Guette, se prêtent au jeu du rendez-vous quotidien pour proposer des états de recherches. Il peut s’agir de fragments, de compositions, de films et d’archives, de lectures comme d’images fixes, autant de points de vue et de possibles ouverts par cette fenêtre très courte d’un coucher de soleil (de trois à cinq minutes si vous n’avez jamais compté le temps). Rendez-vous évolutif alors que les jours vont en se raccourcissant ces moment de complicité autant que de contemplation rythment une saison qui s’incarne également physiquement. 

🔭  Les rendez-vous quotidiens de la saison du Rayon Vert sont visibles, à chaque coucher de soleil : ICI

Création graphique © Odilon Coutarel et Lisa Bayle

Furtif et elliptique [exposition]

Peut-on dire que l’on habite un espace tant qu’on n’y a pas dormi ? Tant que l’on n’a pas vu le rythme des saisons depuis une fenêtre quelque chose nous manque de l’intérieur. Tant que l’on n’est pas capable à la course des lumières sur le mur de deviner à quelle heure de la journée il nous manque une familiarité avec le lieu. Éprouver la sensation d’être chez soi quelque part ne s’explique pas mais se mesure à d’infimes détails et à des nuances lumineuses dont on prend l’habitude. C’est par le détail que l’on s’approprie une chambre, une affiche qui cache une tache d’humidité. C’est par la trace blanche d’une carte postale sur un mur jauni que l’on se rend compte de son inscription dans le temps. 

Dans un appartement que l’on vient de quitter, Tzu-Chun Ku joue du suspens comme d’un sablier vide. Les secondes s’égrènent au rythme d’une horloge recouverte de pastel dont on ne voit que les 5 premières minutes. Une durée équivalente à celle du coucher de soleil dans une journée, la cristallisation d’une conscience des heures. Dans ces pièces en attente d’occupation passé et futur se croisent de façon indécidable et les artistes occupent les interstices. Miranda Webster par ses cadrages et son goût de la miniature exacerbe notre attention aux détails, l’atelier du peintre autant que le mur de la chambre. Dans ses natures mortes, l’abstraction des tâches de la palette rencontre la fidélité d’une signature gravée sur la table et la figuration d’un dessin. La touche délicate et fine laisse deviner dans le quotidien un paysage pour la peinture, une manière d’occuper jusqu’aux restes. 

Anthony Plasse, photographe sans appareil, se livre à une archéologie de la lumière. Travaillant les temps d’exposition, il associe lieu de vie et laboratoire pour révéler en creux une manière d’occuper un espace. Présentant sur deux châssis en face d’une fenêtre les parois de sa chambre noire, il en présente l’envers : comme un oeil aveugle d’avoir trop vu. Dans ces ellipses qui témoignent d’un temps passé, seuls les plus attentifs pourront voir une image. L’ancienne locataire de l’appartement qui nous présente son appartement au présent, nous invite à imaginer la façon dont elle l’avait meublé. Dans la vidéo La visite de Yue Yuan développée pour l’exposition, on devine autant des attaches que des raisons de quitter cet appartement. Dans ces nuances de blanc, on parvient même à reconnaître une lueur en plein jour.

Création graphique © Odilon Coutarel et Lisa Bayle

Qui est le collectif Fernrohr ?

Formé en 2020, le collectif transdisciplinaire Fernrohr rassemble des personnalités venus des arts visuels, des arts vivants mais aussi du graphisme ou de la littérature. Cercle de réflexion autant que groupe d’action, il entend parer à une forme d’évènementialisation de la culture et repenser certaines formes comme celle de l’exposition, du festival ou du spectacle. Trop souvent cloisonnés par discipline, les saisons ne permettent pas de réel échange entre les structures ou même entre les publics. La situation de crise que traverse le secteur de la culture, encore aggravée par les mesures sanitaires liées au contexte de pandémie, appelle des formes de solidarité inédites et incite à repenser une industrie, notamment autour de son rapport au public.
Par une approche globale de la création, Fernrohr n’entend pas répondre à une quelconque injonction de produire, mais cherche à remettre le temps de recherche et de discussion au coeur du processus. Plutôt que de participer à une course au public et au nombre, le collectif entend tirer une leçon de la limitation des jauges et d’autres expériences menées par des dispositifs d’éducation populaire qui visent à impliquer le visiteur ou le spectateur directement. En travaillant sur la narration de projets au long cours, Fernrohr ne distingue plus de temps forts, mais propose une approche renouvelée de l’art dans la vie, une forme de rapprochement entre l’expérience esthétique et le rythme du quotidien. Fernrohr, ou longue vue en allemand, fixe de nouveaux objectifs, et encourage à changer de focale.