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« Nous sommes tou·te·s artistes numériques ! » avec Collectif Coin

Un entretien en deux parties pour explorer l’ADN de création de Collectif Coin

À moins de trois mois de la présentation à Chaillot – Théâtre national de la danse d’EtSi… pièce chorégraphique conçue en duo avec Rachid Ouramdane et avec Lora Juodkaite et à quelques jours de l’ouverture de la Biennale Nemo où Collectif Coin est invité à investir – uniquement sur 2 journées / soirées : vendredi 29 et samedi 30 septembre – le CENTQUATRE-PARIS avec Ataraxie : nous explorons les fondamentaux de la création artistique singulière – immersive et sopistiquée – de Collectif Coin incarnée par Maxime Houot, son fondateur.

Explorant les limites de sa propre perception, Collectif Coin déploie – depuis maintenant dix années – une pratique à la fois artistique & artisanale. Son questionnement commence à l’atelier, en fabriquant le dispositif qui sera support de sa prochaine création. Artisan-plasticien qui manie la matière, la machine et l’objet : un triptyque fondamental dans son process artistique. 

Horya Makhlouf pour jigsaw – balto est allée à la rencontre de Maxime Houot. 

Entretien passionné – au long cours – pour décrypter et donner à partager les composantes d’un art saisissant qui déploie, au fil des oeuvres : un savoir-faire unique & poétique, où l’on est convié à se plonger pleinement – corps & âme ne faisant qu’un.

La première partie est à découvrir ci-dessous – une réalisation & publication jigsaw.

À explorer prochainement : la seconde partie de l’entretien. À suivre !

Collectif Coin, ConglomeraT © Ilan Ginzburg

« Mon approche de la science et de la technologie est poétique, en tant qu’artiste et non spécialiste. »

Ingénieur en physique appliquée de formation, tu es devenu, depuis : artiste et membre fondateur de Collectif Coin compagnie avec laquelle tu crées des œuvres immersives où les humains et les machines font danser ensemble la lumière et le son. Comment est né Collectif Coin et comment liez-vous l’art, la science et la technologie ?

Maxime Houot – Collectif Coin – Malgré son nom, Collectif Coin n’est en effet pas un collectif mais le nom de ma compagnie, similaire à celles que l’on trouve dans le spectacle vivant. C’est une histoire qui a débuté pendant mes études, il y a plus de 20 ans, avec des ami·e·s. J’ai ensuite gardé la structure administrative pour développer mes travaux. Dans cette compagnie aujourd’hui, nous composons une équipe avec différents corps de métiers à mes côtés – des ingénieurs aux administratifs. En ce qui me concerne, plus précisément – j’ai le rôle de metteur en scène ou de chorégraphe en fonction des pièces que l’on imagine ensemble. Dans ma pratique, je change de médium en fonction de ce que j’ai envie de travailler : chorégraphier parfois un danseur et, à d’autres moments, un projecteur qui va se mouvoir au plafond. 

Mon approche de la science et de la technologie est poétique, en tant qu’artiste et non spécialiste. Je serais un peu perdu si tu me demandais de parler précisément de technologie ou d’intelligence artificielle. On peut me qualifier d’artiste numérique, si on a envie mais pour moi, l’art numérique n’existe absolument pas. C’est un raccourci, un excès de langage.

Collectif Coin, Ataraxie, KIKK 2022 © Quentin Chevrier

« Dans mon processus de création, je vais être le plus souvent très primaire et très émotionnel, j’aime embarquer le spectateur dans une aventure saisissante. »

Pourquoi l’art numérique est-il, selon toi, un excès de langage ?

Maxime Houot – Collectif Coin – Il y a quelques années, j’avais posé une réflexion dans une courte étude : « L’art numérique n’existe pas ! ». Le numérique n’est pas, pour moi, un nouveau médium au sens d’outil de production pour l’artiste et je ne suis pas sûr que le numérique ait permis d’ouvrir tant de nouvelles formes de création. Il y a eu le Net Art dans les années 1990 qui était intéressant à creuser, mais qui s’est vite essoufflé. On ne peut parler réellement d’inédit. Toutes les propositions dites numériques restent rattachées aux propositions ou aux médias historiques : la musique, la peinture, le spectacle vivant, la danse…

Je trouve réducteur de qualifier la création par l’outil qu’elle utilise.

Est-ce qu’il est vraiment pertinent de dire que tu as utilisé un outil numérique dans ton processus créatif ? En tant qu’artiste, il y a des moments où je n’utilise aucun outil numérique. L’art numérique serait davantage, pour moi, une période de l’histoire de l’art. D’abord, par le changement d’échelle des outils de stockage. Avant le numérique, il fallait des « bandes » imposantes pour stocker l’information. À partir du numérique, tout s’est miniaturisé en rendant inaccessible les données à nos sens et en parallèle, le partage et la communication de données ont été démultipliés. Je pense, surtout aux réseaux sociaux – qui sont, à la fois, si récents et si indispensables maintenant. Nous sommes donc tou·te·s artistes numériques !

Collectif Coin avec Rachid Ouramdane & Lora Juodkaite, EtSi… © David Gallard

« L’artisanat est, pour moi, intrinsèque à la création : au sens de maîtriser un geste, une technique. Au coeur du processus de création : ouvrir des questions et des réflexions . »

Outre les outils, pour créer, il faut des gestes. Quels sont les tiens ? Et que cherches-tu à composer avec ?

Maxime Houot – Collectif Coin – Quelque soit le projet, ces dernières années, le commencement est toujours similaire : avec une barre d’acier dans la main et un poste à souder et, un ordinateur non loin. À l’atelier. Et le but du jeu va être de faire bouger ce tube en acier d’une certaine manière, de chercher un moyen physique de le mettre en mouvement ou de perturber son mouvement. Je m’intéresse beaucoup au lien entre l’art cinétique et l’art numérique. Dans ma manière de regarder l’art numérique, dans son déploiement historique, il y existe une ligne droite assez évidente entre les deux périodes.

L’artisanat est, pour moi, intrinsèque à la création : au sens de maîtriser un geste, une technique. Au coeur du processus de création : ouvrir des questions et des réflexions. Et naturellement, des mots-notions m’apparaissent et s’imposent comme « ataraxie ». Ils deviennent ensuite le nom de l’oeuvre produite & donnée à partager. Ce sont des mots qui m’accompagnent pendant la création mais qui ne sont pas sujets d’étude en tant que tels. À travers eux, je questionne mon rapport à mes passions et mes possibilités, en tant qu’individu, au contrôle ou non et à sa pertinence. Je ne suis pas sûr que « ataraxie » soit le premier mot qui vienne à l’esprit du public devant l’oeuvre Ataraxie.

Collectif Coin, Ataraxie, KIKK 2022 © Quentin Chevrier

« Placer la physique du monde dans la machine permet de dessiner un trait d’union vers l’humain et constitue un point de rencontre naturel. »

C’était aussi une des premières préoccupations d’un photographe comme Eadweard Muybridge à la fin du XIXème siècle, de montrer un homme qui marche, ou de certains peintres à la même époque, comme un Géricault qui veut montrer en une image fixe le galop d’un cheval. Au fur et à mesure qu’ont évolué les sciences et les techniques, les moyens pour rendre compte du mouvement et l’image même du mouvement ont profondément changé. Aujourd’hui, tu en rends compte avec des machines dont tu dois écrire les protocoles et les algorithmes qui sauront les faire bouger, en y confrontant parfois des corps humains, appelés à atteindre un équilibre entre une partition préalablement écrite et un certain lâcher-prise.

Il y a donc un équilibre à trouver, dans cette histoire du mouvement, entre le lâcher-prise et le contrôle, la part d’aléatoire et la maîtrise. Comment penses-tu cet antagonisme ?

Maxime Houot – Collectif Coin – On revient au ballet, à une partition contrôlée ou plutôt maîtrisée. La technologie permet une maîtrise quasi totale : c’est-à-dire de cadrer et de limiter la place de l’erreur. Je n’utilise pas d’aléatoire, ou d’IA-Intelligence Artificielle. Des moyens qui ne répondent pas à mes souhaits. Mon action, en fil rouge, est de raconter des histoires. Mon activation est d’écrire — et la forme pourrait être un film, un concert, une installation ou toute autre… toujours très cinématographique et très contrôlé. Dans mon processus de création, je vais être le plus souvent très primaire et très émotionnel, j’aime embarquer le spectateur dans une aventure saisissante par l’univers déployé, écrit à la virgule.

En revanche, là où je cherche l’accident ou plutôt l’erreur réside dans la physique couplée au corps humain. Une des premières installations s’appelait Child Hood. C’était une matrice de ballons de baudruche gonflés à l’hélium et chacun était équipé d’une LED qui nous permettait de composer un écran géant en extérieur, au-dessus du sol. La technique était prévue car millimétrée. Là où venait le lâcher-prise et le non-contrôle était lorsque le vent s’y engouffrait et qu’il pouvait, alors, littéralement détruire la matrice ou plutôt mettre l’installation en mouvement d’une manière hyper poétique. Ce que, finalement, je recherche.

Comment est-ce que l’on interagit, nous humains, entre nous et avec les autres habitants du vivant ? Placer la physique du monde dans la machine permet de dessiner un trait d’union vers l’humain et constitue un point de rencontre naturel. Je crée des machines qui, quand je les mets en mouvement, sont très humaines, vivantes et organiques. On repère leurs imperfections et avec toutes & ceux qui me rejoignent au-sein de Collectif Coin sur une pièce précise : on isole une ou deux imperfections pour mettre l’accent précisément sur elles, en jouant sur ce qui va permettre de la mettre en avant. On dissimule beaucoup pour faire apparaître un léger balencement qui devient une affection naissant dans la relation entre l’artiste, le spectateur et la machine.

©www.levetchristophe.fr

« On n’est pas loin des pires scénarios de science-fiction. Ma création en est bien éloignée, beaucoup plus simple. »

Ce que tu décris rappelle un peu des topoï de la science-fiction et de nombreux romans d’anticipation, où s’écrirait une histoire de l’harmonie et de l’amitié entre les humains et les robots. Est-ce un peu de ce que tu essayes de créer, cette union affective entre les machines et les corps humains ?

Maxime Houot – Collectif Coin – Oui et non. Je suis né dans les années 1980, j’ai grandi avec Terminator – et c’est le meilleur film de la Terre ! Les unions entre l’homme et la « machine »qui se trament ou s’imposent me bouleversent. D’ailleurs, ce lien me panique encore maintenant. J’ai 42 ans et j’en suis traumatisé. L’histoire, l’actualité nourrit la peur. Il suffit de s’intéresser chaque jour à comment l’IA bouleverse nos sociétés et notamment, comment les différentes armées du monde sont en train de préparer doucement le transfert de leurs chaînes de commandement à des IA… On n’est pas loin des pires scénarios de science-fiction. Ma création en est bien éloignée, beaucoup plus simple.

Collectif Coin avec Rachid Ouramdane & Lora Juodkaite, EtSi… © David Gallard

« Il est bon de détourner le regard, parfois pour regarder ailleurs. Essentiel pour moi. Et la poésie notamment peut aider. »

À propos de ce sentiment de panique vis-à-vis de l’évolution des nouvelles technologies et les biais à trouver pour ne pas se laisser submerger par l’angoisse, tu disais que ça pouvait être intéressant de se laisser aller. Est-ce qu’il faut selon toi apprendre à maîtriser les choses qui nous dépassent ou épouser le flux et le mouvement ? Comment atteindre l’ataraxie et l’apaisement de l’âme que tu mentionnais plus tôt ?

Maxime Houot – Collectif Coin – En tant que citoyen de ce monde en transformation, parmi je ne sais combien de milliards d’humains, je me questionne bien entendu et je n’ai vraiment pas de réponse ou de certitude. Je rattache l’ataraxie aux logiques de domination qui sont inhérentes au vivant. Et ce, bien au-delà du patriarcat ou bien au-delà de tout ce que l’on peut subir ou exercer comme rapport de force. Nous sommes rattrapés dans tout un tas de certitudes. On est clairement en train de « foutre en l’air » le monde à toutes les échelles – tant avec le réchauffement climatique qu’avec l’effondrement du vivant. Viser l’ataraxie, pour moi, est se tenir à distance de la passion avec un P majuscule. Je suis ingénieur en physique appliquée de formation et je suis incapable de t’expliquer quoi que ce soit en physique. Je n’ai vraiment rien retenu de pratique. Mais je me rappelle ce que l’on m’a raconté : des petites histoires sur les choses qui me faisaient briller les yeux. Il est bon de détourner le regard, parfois pour regarder ailleurs. Essentiel pour moi. Et la poésie notamment peut aider.

Collectif Coin, Ataraxie – Teaser : ICI

——— vendredi 29 septembre 2023

Ataraxie, dans le cadre de l’inauguration professionnelle de la Biennale Némo

+ Installation en continu avec prises de parole & visites proposées : 18:00 à 21:00

+ Lieu : CENTQUATRE-PARIS

——— samedi 30 septembre 2023

Ataraxie, dans le cadre de l’ouverture grand public

+ Performance : 14:00 & 14:30

+ Installation en continu & en accès libre

+ Lieu : CENTQUATRE-PARIS

+ Accès libre 

——— jeudi 14 au samedi 16 décembre 2023

EtSi…, dans le cadre du temps fort Chaillot Expérience 

+ Pièce chorégraphique : jeudi & vendredi à 19:30 et samedi à 17:00

+ Lieu : Chaillot – Théâtre national de la danse 

+ Billetterie : ICI

Némo – Biennale internationale des arts numériques de la Région Île-de-France

Consacrée aux arts numériques, aux performances audiovisuelles, au spectacle vivant en prise avec les nouvelles technologies ainsi qu’aux rapports entre arts et sciences, Némo – Biennale internationale des arts numériques de la Région Île-de-France, présente dans différents lieux franciliens des expositions, spectacles, performances, concerts et rencontres.

Avec la thématique « Je est un autre ? », la nouvelle édition du 30 septembre 2023 au 7 janvier 2024 interroge nos personnalités multiples à l’ère numérique.

À l’heure où les représentations de soi-même se démultiplient, où la virtualité permet des expériences irréalisables IRL (In Real Life), où la question des identités sur les réseaux sociaux et de l’intelligence artificielle sont au cœur des débats, qu’ajoutent les arts numériques, les sciences et les technologies à ces questions ? Enjeu essentiel de nos sociétés, les artistes, scientifiques et chercheurs de la Biennale Némo nourrissent et interrogent cette vaste et passionnante thématique à l’aune de ses incarnations artistiques.

Chaillot – Théâtre national de la Danse

Chaillot – Théâtre national de la Danse est l’un des six théâtres nationaux français (établissements publics dont les missions sont définies par l’État) et le premier à porter un projet construit autour et à partir de la danse.

Chaillot est une fabrique du lien, un théâtre des diversités des formes, des publics et des esthétiques qui rassemble, accessible à tous. Chaillot inscrit la danse au cœur de la société tout en rapprochant des mondes. Chaillot pense une hospitalité du dedans et du dehors en investissant son patrimoine Art déco autrement notamment pendant les Journées Européennes du Patrimoine ou en proposant des visites guidées du bâtiment. Chaillot est une maison vivante tout au long de l’année avec une constellation d’artistes associés.

Collectif Coin

Depuis 2013, Collectif Coin emmené par Maxime Houot a créé de nombreuses pièces sonores & visuelles présentées sur la scène internationale. Explorant les limites de sa propre perception, Collectif Coin déploie une pratique à la fois artistique et artisanale. Son questionnement commence à l’atelier, en fabriquant le dispositif qui sera support de sa prochaine création. Artisan-plasticien qui manie la matière, la machine et l’objet : un tryptique fondamental dans son process artistique. Collectif Coin est la compagnie avec laquelle Maxime Houot aime expérimenter, en croisant son travail avec celui d’artistes d’autres disciplines : la danse, la musique et le spectacle vivant.